Vérité et temps, le faussaire

Cours Vincennes - St Denis
Cours du 27/03/1984

Eric : Alors je préfèrerais, oui. Euh... Des choses sur le galop, vous devez en avoir plein... il y a quelqu’un qui vient de me dire qu’il en avait. Où est-elle ? Où est-elle ? Ah ! Je préfèrerais, si ça ne vous ennuie pas, comme là j’ai un autre texte, j’ai un texte sur le Galop aussi... que l’on remette à la rentrée, hein ?

Deleuze : Vous allez pas perdre l’idée, si ? (rires légers de la salle) Ou alors, c’est très court... votre idée ?

Vous n’aimez pas parler publiquement ? Alors, épatant ! (rires de la salle) Vous savez, je crois personne, sauf quelques fous, aiment parler publiquement (rires de la salle). Vous êtes normale. Alors, parler publiquement, ça ne peut se justifier que par des raisons professionnelles sérieuses liées au régime du salariat, sinon, euh... Alors, voilà, vous allez me faire une petite note ! Vous aimez bien écrire ?

Eric : (rires) oui, si vous voulez.

Deleuze : oui, je veux ! (inaudible) D : au lien ritournelle-polyphonie ? Oui, oui. Alors, cette idée ça vous ennuie de la dire oralement ? Puisque vous n’aimez pas parler, hein ?

(Intervention inaudible)

Deleuze : Alors, vous allez me faire une petite note là-dessus.

Eric : oralement, mais publiquement, je sais pas...

Deleuze : Ah, oralement à moi tout seul ! (rires de la salle) Ah, d’accord ! Je ne comprenais pas, je me disais « Mais alors, qu’est-ce qu’elle veut ? » (rires de la salle) Non, écoutez, si ça ne vous ennuie pas... Vous écrivez facilement ?

(Intervention inaudible)

Deleuze : Mais ça m’est égal que ce soit vraiment du brouillon...

(Intervention inaudible)

Deleuze : Ah bon ! Alors écoutez, il faut qu’on fixe ça à la rentrée. Donc faut pas que vous perdiez votre idée. Vous me la direz oralement...

Eric : D’accord.

Deleuze : Et puis moi je vous la dirai (rire de la salle). Bon, alors. Dis-moi Eric, ça te va ? Comment on fait ? C’est toi qui commences, ou c’est moi ? Moi, je préfèrerais dire ce que j’ai à dire... et puis tu corriges sur Saint-Augustin, hein ? Ca te va ? (silence) D’où, nécessité d’aller vite.

Nous avons, très précisément, trois points. Trois points à voir, pas en tout, trois points à voir pour commencer, c’est-à-dire pour en finir avec cette histoire du Temps et du mouvement de l’âme. Je les distingue bien parce que c’est notre seule chance pour nous débrouiller là-dedans.

Le premier point, c’est donc cette histoire qu’on a vue la dernière fois du nun. (silence) Le nun , qui pose évidemment des problèmes de traduction énormes comme tous les mots grecs. (il écrit au tableau). Comme tous les mots grecs, c’est très très difficile. Euh... Ceux qui ont fait du latin reconnaissent que les latins ont la même racine (bruit de craie sur un tableau) sous la forme « nunc » (bruit de craie sur un tableau)... qui est tiré de... qui est formé de... nun c’est : « Le maintenant, que voici ».

Donc les Latins eux disent le « nunc ». Les Grecs eux disent le nun... C’est le maintenant, mais le "maintenant" en quel sens ? Parce qu’il y a beaucoup d’autres mots pour dire le "maintenant". Alors... Alors, nous, on avait une idée... Ca ne vaut pas pour tous les sens, hein. Le « nun », en un certain sens, ce serait quoi ? Ben, ha ! Ce serait... essayons de le traduire comme ça : « l’instant, mais pas n’importe quel instant ». Pas n’importe quel instant à la lettre. Quel est l’instant dont on dit « ce n’est pas n’importe quel instant » ? Un tel instant, on dira que c’est un instant privilégié.

Le nun, en un certain sens, en l’un de ses sens, serait : l’instant privilégié. L’instant privilégié, mais privilégié, ça veut dire quoi ? En quoi privilégié ? Nous, on a déjà pas cette question à se poser trop. Pourquoi, parce qu’on le sait déjà. Nous avons vu que le mouvement extensif se définissait... Le mouvement extensif des grecs, le mouvement local : transport d’un lieu à un autre, se définissait par des positions privilégiées. (silence) Que ce soit les points cardinaux, que ce soient les signes zodiacaux, que ce soient, les points privilégiés sur les plans parallèles, perpendiculaires, obliques les uns aux autres qui constituent le planétarium... Donc le mouvement extensif est marqué par des points privilégiés, des positions privilégiées du mobile. Et on a vu que c’est comme ça que le mouvement extensif constituait son ordre propre dans la philosophie, qui considère le mouvement comme mouvement de monde, et qui dès lors, va dériver le temps du mouvement sous la forme : « Le Temps, c’est le nombre ou la mesure du mouvement de monde ».

Donc il y a des positions privilégiées. Eh bien, de même, il y a des positions privilégiées dans le mouvement intensif de l’âme. Ces positions privilégiées, nous les appelons des "nuns" .

Bon... J’insiste sur ceci : même si je traduis nun par « moment privilégié », je ne me donne pas le Temps... ou « instant privilégié », je ne me donne pas le Temps. Je prends « instant » au sens de « instance », « instare : ce qui se tient en soi-même ». Et ça, on l’a vu, d’où viennent ces nuns alors, puisqu’ils ne supposent pas le Temps ? Notre réponse était très simple : toutes les puissances, puisque c’est une dialectique des puissances que les néo-platoniciens nous offrent , je ne reviens pas là-dessus - toutes les puissances coexistent, à des titres divers, suivant le degré de puissance que vous considérez - à des titres divers, elles sont toutes prises les unes dans les autres. Les néo-platoniciens tardifs auront un terme splendide pour désigner ça : « la complication ».

Tous les degrés de puissance sont compliqués les uns dans les autres... Et cette coprésence de tous les degrés de puissance appartient à l’éternité, c’est-à-dire à l’Aîon. Vous voyez que je ne me donne pas le Temps. (bruit de craie sur tableau) Ah... mais, mais, mais on a vu que, tous ces degrés de puissance, toutes ces puissances... Les degrés de puissance, c’est quoi ? Pour vous rappeler, là c’est important, la définition est très stricte. Sinon, vous feriez du Nietzsche. Sinon, faut aussi éviter tous les dangers. Faut pas nietzschéiser les néo-platoniciens, hélas ! ils n’avaient rien à... pas hélas, d’ailleurs ! ils n’avaient rien à faire avec ça, hein .

C’est ce qu’on peut appeler degré de puissance chez les néo-platoniciens, c’est toujours l’ « Un », avec un grand U, hein (bruit de craie). L’ « Un », sous telle ou telle puissance. L’Un puissance grand N, l’Un puissance n, l’Un puissance n-1, puissance n-2, puissance n-3... C’est ça qui fait la dialectique sérielle des néo-platoniciens . Donc si tous les degrés de puissance, tout ça ça ne vaut - je veux dire, tout ce que je dis c’est ridicule, ou c’est complètement arbitraire, si vous n’attachez pas les définitions que je propose. Même si vous attachez les définitions que je propose, à ce moment là, mettons que c’est toujours discutable, ça peut se discuter, Euh hein... pourquoi pas ? Euh, si on y tient. Mais il ne faut pas négliger les définitions, sinon ça ça perd tout sens.

Je dis que cette coprésence de tout les degrés de puissance dans l’Aîon, n’exclut pas qu’ils se distinguent les uns des autres. Je ne dis pas « ils sont distincts ». Je dis « ils se distinguent ». Il y a un « se distinguer » qui ne fait qu’un, avec une distinction interne. Ils ne se distinguent pas au sens où les parties de la quantité extensive, se distinguent. Les parties de la quantité extensive se distinguent - toujours pour parler latin, pour notre joie : "partès extra partès" , chaque partie étant extérieure à l’autre partie. Il n’en est pas ainsi des degrés de puissance. S’ils se distinguent, ils se distinguent du dedans et la distinction interne consiste en un « se distinguer », en un « en train de se distinguer ». A cet égard - pour ceux que ce point intéresserait - il y a un bon article de Marie-Claire Galpérine, sur le Temps chez Damatius, où elle insiste sur cet « en train de se distinguer » - les grecs ayant la forme pour indiquer ça, ils ont une forme pronominale qui s’appelle " le réfléchi". Euh... qui est dans "Les études philosophiques" , revue obscure mais sérieuse. Les études philosophiques , juillet 1980 - qui est un des rares textes récents en France sur Damatius. Oh ! Oh... oh...

Vous m’accordez donc cette distinction interne, si mystérieuse qu’elle soit. Voilà que ces degrés de puissance se distinguent, oui, mais ils se distinguent du dedans. Voyez que c’est une manière de concilier, et Plotin dira la même chose, pour les âmes. Les âmes se distinguent et de l’âme universelle et les unes des autres , oui mais d’un type de distinction très particulier, qui n’est pas une distinction externe. Elles communiquent du dedans et, elles sont perpétuellement emprises dans l’acte de « se différencier », dans une espèce de « se différenciant ». Le « se différenciant » de l’âme. Le « se différenciant » qui est la distinction interne.

Bon... Alors je dis juste, le nun consiste dans l’acte, dans l’acte puissance, dans la puissance-acte par laquelle, un degré de puissance, et notamment l’âme - puisque c’est au niveau de l’âme que tout se décide - et avant tout l’âme, se distingue. Se distingue de quoi ? Et bien se distingue, et des degrés supérieurs, et des degrés inférieurs. Et des puissances supérieures, et des puissances inférieures.

Donc, nous dirons que le nun est la puissance-acte par laquelle l’âme se distingue. Sur un mode... Sous un mode de distinction intrinsèque, sous un mode pronominal se distinguent des unités supérieures et des unités inférieures. Vous voyez que ça n’engage pas le Temps, ça engage uniquement la série de....comprise dans l’Aîon. Ah... Seulement voilà, si vous comprenez ça : que le nun est fondamentalement l’acte de se distinguer comme le « se distinguer », le « en train de se distinguer », par-là même le nun engendre le Temps. D’où la thèse devient extrêmement simple, ça devient imparable tout ça. Euh... Le Temps, ce sera la mesure de la quantité intensive, la mesure du mouvement intensif de l’âme.

Bon, mais comment, du fait même qu’il est processus de « se distinguer », comment le nun constitue-t-il le Temps ? Je reprends en simplifiant mon schéma - qui n’avait pas eu beaucoup de succès la dernière fois - alors... j’en reprends un petit bout, du schéma...). Voilà... Je me donne trois points : A, B, C (bruit de craie sur tableau). En fait, c’est trois puissances. Donc c’est, un sous une puissance, un sous une autre puissance, un sous une troisième puissance. Ca descend. Après c’est B. Mettons que ce soit l’âme. Vous vous rappelez le schéma. Je dis « En quoi consiste le nun de l’âme ? ». C’est-à-dire, en quoi consiste le « se distinguer » de l’âme ? Je ne dis pas « En quoi consiste la distinction de l’âme ? », il n’y a pas de distinction de l’âme, il n’y a qu’un « se distinguer » de l’âme.

Alors en quoi consiste le « se distinguer » de l’âme ? Il consiste, là je le fais, puisque, il consiste, on l’a vu, en ceci mais qui va nous donner une charmante...j’arrête ?) - Et, je continue (bruit de craie)... voilà. Les deux ne sont pas symétriques, voyons. Si bien, c’est très joli cette figure - ils ne la font pas, euh, c’est moi qui l’ai faite pour vous, rien que pour vous. Elle va devenir très jolie si j’ajoute un quatrième terme. D comme puissance encore inférieure. Car si j’ajoute un quatrième terme, en quoi consiste le nun de C ? (bruit de craie frappée sur le tableau) ... Le nun de C consiste en ceci : (bruit de craie sur le tableau). Voyez si c’est joli, parce que ça s’emboîte. Hein, c’est comme une série d’anneaux, qui s’emboîtent... Euh , non je le sens pas, rire de la classe, nos âmes s’épanouissent de là. C’est, c’est une figure mystique ça, vous comprenez ? Faut la vivre. Si vous la vivez, vous sauverez votre âme, si vous ne la vivez pas, c’est la chute... (rires de la salle) Pensez-y... (bruits d’écritures sur le tableau)

Alors...Bon....C’est ça le « se distinguer » ! Et en quoi consiste-t-il ? Chaque nun est un « se distinguer », c’est le « se distinguer » de la puissance correspondante, c’est le « se distinguer » du degré de puissance considéré.

Et ce « se distinguer » consiste en quoi ? D’une part, il se penche - tout est au pronominal - il se penche vers un Dehors, c’est-à-dire... le Dehors, c’est un dessous. Il se penche vers ce qui est en-dessous. Il se penche, attention, hein ! C’est pour ça que, hélas, les dessins ne peuvent pas rendre compte... C’est un vecteur, ça. C’est pour ça que j’ai mis une petite flèche. Eh bien mon âme, elle se penche vers ce qui est en-dessous. Chez Plotin c’est (bruit de craie au tableau) ... "pros allo" . C’est le « pencher vers autre chose ». Elle « s’épanche », elle se donne. Et pourtant elle reste en soi. Elle est nun et elle reste dans son nun. Elle se penche... Et c’est, il suffit qu’elle se penche pour, d’une certaine manière, faire procéder de son inclinaison. Elle s’incline, et par-là fait procéder de sa propre inclinaison. Le degré inférieur.

C’est on l’a vu : la procession. Ou le projet (bruit de craie)... Mais en même temps, elle reste en soi et elle se retient. Oui, parce que si elle tombait dans le dégré inférieur .. Elle se retient. Elle a même pas à se retenir. En se penchant "pros allo", en se penchant vers l’autre, elle reste en soi.

Si bien que, si elle se penche, et si quelque chose procède de son inclinaison, il faut dire aussi que, elle revient à soi en même temps qu’elle se penche... En même temps qu’elle fait procéder quelque chose de soi. Procession. En même temps qu’elle fait procéder - Voyez, procession des degrés de puissance - en même temps qu’elle fait procéder quelque chose de soi, elle revient sur soi. Elle revient sur soi, mais vous allez me dire : « Mais ce n’est pas ce que montre ce schéma ! ». Eh bien ... Evidemment ! Si ! Parce que, en revenant sur soi.. Revenir sur soi, c’est nécessairement revenir sur, ce dont elle procède elle-même, à savoir : le degré supérieur dont elle procède. Revenir sur soi, c’est revenir en soi, sur ce dont on procède.

Et c’est le mouvement de la conversion ... Et l’unité de la procession et de la conversion, ce sera la contemplation. Tout est contemplation. Nous sommes tous contemplation, puisque la contemplation c’est, la contemplation de ce qui vient après, en-dessous. Procession. L’âme se penche... C’est la contemplation de soi-même, le retour à soi, le retour sur soi, et c’est la contemplation de ce dont soi-même on procède, c’est-à-dire le retour en soi, à ce dont on procède soi-même. Tout est contemplation.

Eh bien, on avance... Si le nun est l’acte-puissance du « se distinguer », vous voyez en quel sens... C’est que, chaque nun, est comme l’autodistinction d’une procession et d’une conversion, d’un élan et d’un retour. D’une inclination et d’une réflexion. D’une attente et d’un souvenir.... En d’autres termes, chaque nun, dans le mouvement de « se distinguer lui-même », distingue nécessairement quelque chose qui fonctionne comme un pur futur et quelque chose qui fonctionne comme un pur passé. Le nun est la matrice du Temps. ...

Ah... Et ce n’et pas un des moindres paradoxes des néo-platoniciens que d’arriver à cette notion. Elle leur paraît... Plotin, il ne l’analyse pas, c’est une espèce de philosophe-poète très grand. C’est un philosophe-poète-professeur. C’est rare de réunir les trois... Je ne veux pas dire qu’il le dise formellement mais ces textes l’imposent complètement... C’’est très curieux, chez lui c’est toujours des synthèses qui définissent ( ?)... Et vous voyez que c’est bien l’idée du « se différenciant », du « en train de se distinguer ». L’âme se définit par un acte synthétique - Troisième "Énéades", "Énéades trois" : c’est tout le thème de l’acte synthétique de l’âme. Et jamais ça ne sera dit, même par Kant, jamais ça ne sera dit aussi fort, que cette idée de l’acte synthétique de l’esprit et de l’âme. Le nun est réellement une synthèse. Or, c’est la synthèse qui se divise. En effet, l’acte synthétique, c’est le « en train de se distinguer », et le « en train de se distinguer » opère la distinction perpétuellement en train de se faire, entre un passé et un futur... Qu’est ce que c’est « une synthèse qui se divise » ? c’est très curieux, ça. Ca a un nom, c’est pas après tout , c’est pas impossible, ça a un nom, c’est qu’on appellera en logique et dans la théorie du syllogisme, on appellera ça « une synthèse disjonctive ».

Et la théorie du syllogisme -il faudra que je fasse ça, une année ...) euh... la théorie du syllogisme distingue, et ça sera très important, jusque encore chez Kant, trois grands types de syllogismes, dont l’un est dit "catégorique" - du type « tous les hommes sont mortels ») ; - dont l’autre est dit "hypothétique" - du type « s’il fait jour, il fait clair ») ; et dont le troisième est dit "disjonctif" - du type, « le vivant est ou bien immortel, ou bien mortel ».

On pourrait dire que, là en simplifiant beaucoup, on pourrait dire que Aristote est le grand théoricien du syllogisme catégorique... On pourrait dire, en simplifiant moins : toute la théorie de la substance aristotélicienne est subordonnée au syllogisme catégorique, bien que, Aristote fasse aussi la théorie des autres syllogismes. Mais précisément, c’est pas par hasard que la catégorie fondamentale, chez Aristote, c’est celle de "substance", à laquelle correspond le syllogisme catégorique. Ceux qui ont fait, une très grande théorie du syllogisme hypothétique, ce sont les stoïciens, grâce à une théorie des évènements, qui leur est toute particulière... Comme les cases de la pensée seront toujours remplies puisque Dieu existe, et bien il restait le syllogisme disjonctif. C’est la grande théorie du syllogisme disjonctif élaboré par les néo-platoniciens. Vous me direz Platon, qu’est-ce qu’il avait, lui ? Et bien, Il était le premier. C’était pas clair... L’idée de synthèse n’est pas encore chez lui, dégagée de celle de l’analyse. Platon est sans doute, le plus grand théoricien de l’analyse. Alors là ça serait comme, ça devient tellement schématique que c’est trop beau... non, c’est trop, c’est trop mal, quoi, hein.Platon, grand théoricien de l’analyse ; Aristote, grand théoricien de la synthèse catégorique ; stoïciens : synthèse hypothétique ; néoplatoniciens : synthèse disjonctive...

voilà, tout est clair, empaqueté, voilà. Lamentable ! bon (rires), alors...

Voyez en quel sens je peux dire : le nun est constitutif, dans son acte-puissance synthétique, procession-conversion, le nun est constitutif d’un Temps originaire : le futur pur de la procession, le « se pencher vers » ; et le passé pur de la conversion. En fait d’où vient le privilège du passé, que je signalais la dernière fois ? Mon schéma en rend très bien compte. Le privilège du passé vient de : rien ne marcherait, rien ne fonctionnerait de l’ensemble, si la conversion ne dépassait la procession, en ce sens que, elle ne remonte pas au terme dont est partie la procession, mais elle remonte toujours au terme supérieur...

Donc, la vraie matrice du Temps c’est la conversion. Enfin, c’est... Voilà. C’est le premier point.

Alors quand je dis « passé pur » et « futur pur », comprenez ce que je veux dire ! je veux dire qu’il ne faut pas confondre ça avec « ce qui a quelque chose qui serait passé ».

Je peux dire ce qui est passé , je peux dire ce qui est futur, ce qui est à venir, mais à quelle condition je peux dire : ce qui est passé ou ce qui est à venir ? Je peux le dire que si je dispose d’une forme du passé et d’une forme du futur. C’est ce que j’essayais d’expliquer la dernière fois. Il y a des présents qui passent - ça on sait pas encore, mais je devance - il y a des anciens présents, mais, rendez vous compte ! C’est prodigieux que je les saisisse comme du passé. Si je ne disposais pas d’une forme de passé, mais je ne saisirais pas ce qui passe comme du passé, ou je ne saisirais pas ce qui est passé comme du passé.

Il faut que j’aie la forme au passé. Ce qui n’est pas encore, je le saisis comme avenir, ouais, je le saisis comme avenir, ce qui n’est pas encore, à une seule condition, c’est que j’aie une forme d’avenir, dans laquelle je coule ce qui n’est pas encore. Mais cette forme de passé pur, cette forme de passé pur, c’est ce que j’essayais de dire en disant la dernière fois : « je saisis mes anciens présents comme passés, mais jamais je ne saisirais mes anciens présents comme passés si je ne disposais d’un passé qui n’a jamais été présent ». C’est forcé. En d’autres termes, jamais ce qui est passé ne peut rendre compte de la forme du passé sous laquelle je le saisis.

C’est cette synthèse du nun, en tant que synthèse disjonctive et en tant que constitutive d’un Temps originaire... Le Temps originaire, c’est le temps qui ne cesse de se distinguer à chaque nun, suivant chaque nun, en passé pur et futur pur. C’est ça le Temps originaire. Un passé qui n’a jamais été présent, un futur qui ne sera jamais présent. J’ai besoin de ça pour saisir les prochains présents comme futurs, et les anciens présents comme passés. Voilà, donc je peux dire maintenant : le nun est la constitution d’un Temps originaire...

Et si on me dit « C’est Kant qui a dit ça », je dis « Oh ben non, ça non, non... ». Or Heidegger dit « Kant a dit ça », alors... c’est pas notre faute. Et avec un grand respect, il faut dire « Et bien non, c’est pas Kant qui a dit ça ». Kant l’a peut-être redit, il a peut-être changé complètement le sens de ce qu’il redisait (coupure).

Et ben pourquoi il faut un second point ? Pourquoi que ça s’arrête pas là ? Ah... C’est ça qu’il y a de bien, parce que, je ne cesse de vous le dire hein : vous, vous pouvez arrêter là où vous voulez, hein. Si vous en avez assez, vous arrêtez là, je vous dis c’est très bien. Ca me suffit. Ca me suffit, j’ai pas besoin d’autre, très bien. Je trouve ça très légitime moi, un bout, quoi, vous prenez un bout. Ah... De préférence celui que vous comprenez, mais (rires)... la perversité est telle, que généralement, on choisit le bout qu’on comprend pas, ah... Pourquoi que ça s’arrête pas là ? Et bien parce qu’il y a cette histoire qu’on essaie de se cacher, je ne sais pas si vous le sentez... qu’on essaie de se cacher parce qu’on en a, on en a très peur. C’est une peur qui nous pénètre, c’est une peur abominable... euh...et cette peur, on ose à peine la désigner - c’est que depuis le début, ce qui nous soucie, c’est cette histoire de zéro.

C’est qu’il y a un zéro, tout à fait en bas, là. (bruit de craie sur le tableau). Peut-être que, à la limite, peut-être que c’est une limite ce zéro ? mais enfin il est là. Il y a un zéro tout en bas de la série. Et ça alors on aimait bien et c’est pour ça que, qu’on le veuille ou non, on est toujours amené à gagner du temps, avant d’affronter ce zéro. Qu’est-ce qu’il vient faire, et qu’est-ce qui va se passer à cause de lui ?

C’est ça mon deuxième point, c’est le retour du zéro. On se l’est donné, d’accord, on se l’est donné, mais qu’est-ce qu’on va en faire, ou plutôt qu’est ce qu’il va nous faire - une fois qu’on se l’est donné ? Du coup, vous allez me dire « Mais pourquoi vous vous l’êtes donné ? »... On pouvait pas faire autrement. On se l’est pas donné, rien ne tenait, si on se le donnait pas. Et pourquoi, rien ne tenait si on se le donnait pas ? Mais parce qu’il était aussi important que le, que à l’autre bout de la série, ce qu’on a appelé le 1 puissance grand N, c’est-à-dire, le 1 au-delà de l’Un. Le 1 plus profond que l’Un, le sans-fond, la source de la lumière...

Vous êtes en retard... (rires de la salle)

Ah... (bruit de porte) Il fallait bien se le donner. Pourquoi ? Vous vous rappelez ce que c’est que, le mouvement intensif ? Ou la quantité intensive ? C’est ce dont la multiplicité est saisie comme Un. Ca, ça nous convient. C’est ce dont la multiplicité est saisie comme Un, par opposition à la quantité extensive, où la multiplicité est saisie comme Tout, et pas comme Un. C’est-à-dire c’est ce dont la multiplicité est saisie comme degré de puissance, comme Un sous une puissance... Or, cette multiplicité ne peut être saisie comme Un, ne peut être saisie comme Un que par sa distance indécomposable à zéro. Donc, on pouvait pas échapper au zéro. C’est toute la quantité intensive et c’est tout le mouvement intensif, qui se passe entre un et zéro (bruit de craie), par opposition à la quantité extensive. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, petit n. La quantité intensive me demande une binarité du type un/zéro, une fois dit que le un passera par toutes les puissances. Mais chaque fois, la multiplicité de la quantité intensive comprise comme Un... Comprise comme Un dans quoi ? Dans le nûn... Chaque fois cette multiplicité ne pourra être évaluée que par la distance du degré de puissance à zéro. (silence)

Donc, zéro, je ne pouvais pas y échapper. Et pénétré de l’idée que je ne pouvais pas y échapper, encore une fois, on a gagné du temps. On l’a pas perdu mais... on a gagné du temps avant d’affronter ce zéro, car qu’est-ce-que ça veut dire ce zéro ? Et je disais la dernière fois, comprenez que : plus nous descendons la série des puissances, plus la multiplicité virtuelle contenue dans chaque degré de puissance, dans chaque unité, plus cette multiplicité virtuelle tend à devenir actuelle. C’est-à-dire plus le « en train de se distinguer », c’est-à-dire la distinction interne, plus la distinction interne tend à apparaître comme une distinction extérieure : toute faite et non pas en train de se faire, une distinction extrinsèque d’après laquelle les termes deviennent extérieurs les uns aux autres... Plus je descends l’échelle, plus les distinctions internes font place à des distinctions qui tendent à être extérieures. Je traduis là, je peux traduire, parce que là on est restés longtemps là-dessus : plus les figures de lumière laissent place - imaginez, c’est très progressif, c’est même...c’est comme dans un rêve - plus les figures de lumière laissent place à des figures rigides. La figure rigide, c’est le régime de la distinction extrinsèque. Là le tableau, là le mur, là la chaise. C’est des distinctions extrinsèques, ça. Où je compte : un, deux, trois, quatre, cinq.

Est-ce que je pouvais faire ça pour les âmes ? Non, oh non, oh non ! Les âmes, elles étaient prises dans le mouvement du « se distinguer », je pouvais pas dire un, deux, trois, quatre. Bon alors, plus je tends vers mon zéro, plus les figures rigides géométriques vont remplacer les figures de lumière. Plus le rigide, plus les limites vont se former c’est-à-dire, c’est toute la distinction interne qui vacille au profit d’un autre régime de la distinction. C’est si l’on veut le règne, ce qui se dessine, et ce que j’aperçois à travers les figures de lumière, ce que j’aperçois à travers une figure de la lumière, ce sont ces formes rigides... Alors, non, autant dire : plus la chute idéale tend à devenir une chute réelle. Et c’est ça que signifiait, le zéro. Le zéro signifiait - le zéro était un ricanement abominable - il signifiait « tu crois tomber idéalement comme la lumière du soleil... tu ne sais pas que tu es déjà pris dans une chute réelle ».

En effet qu’est-ce-que c’était la chute idéale ? La chute idéale c’était : la distance indécomposable, d’un degré de puissance à zéro. La lumière tombe. « La lumière tombe », ça ne veut pas dire qu’il faut que je la ramasse. Ca veut dire qu’elle reste en haut.

La chute de la lumière est le prototype de la chute idéale. C’était, la procession-conversion. Il y avait pas du tout chute réelle, puisqu’en même temps que la procession se faisait, la conversion l’empêchait d’être une chute réelle et la reprenait en même temps qu’elle se faisait. La conversion venait "par après" la procession. Faut bien rendre tout ça simultané. Alors, non... plus on s’approche de zéro, et bien, plus tout ça est menacé. Ce qui pointe, à travers les figures de lumière, c’est les figures rigides contre lesquelles je me cogne, blessantes.

C’est l’ordre des corps, c’est la chute réelle de mon âme dans un corps, hein... Voilà. Mais vous allez me dire si vous m’avez suivi. Vous allez me dire : « bon, acceptons même ça ». Mais pourquoi le règne ? On voit bien à la rigueur que - le règne des distinctions extrinsèques, ou des figures géométriques rigides - on voit bien à la rigueur que c’est le règne de la matière, et de l’espace.

L’espace, ce sera la forme de l’extériorité. La forme des distinctions extérieures. C’est dans l’espace que je peux dire « la table n’est pas la chaise ». L’espace, c’est le réceptacle des corps, partès extra partès, dans l’extériorité de leurs parties.

Donc je peux dire « tout ça, d’accord, c’est la matière en tant qu’elle remplit l’espace, en tant qu’elle s’étend ou même pas qu’elle s’étend, elle elle s’étend pas, c’est l’âme qui s’étend en procédant. Je dirais de la matière qu’elle est étendue dans l’espace, pour parler toujours latin, ils font très bien la distinction, c’est pas de l’extensio, l’extensio ce serait la procession, l’âme prend une extensio en se penchant, c’est "l’extensum" : l’étendu, participe passé. Alors bon, que ce soit tout ça matière ! mais en quoi c’est zéro ? Là ils vont vite quand même hein, hein ils vont vite - parce que je pense que tous les grecs comprenaient déjà - mais nous on a besoin de faire semblant de lire les grecs, ah alors...alors pourquoi est ce qu’ils appellent ça zéro ? alors que quand même quelque chose, c’est peut être mauvais ces figures rigides, mais enfin c’est quelque chose cette matière, c’est quelque chose, comment ils peuvent assimiler ça au degré zéro ?...

Eh ben oui, écoutez moi bien, il suffit de faire une petite conversion : quand ils disent c’est le degré zéro, c’est le zéro, c’est le non-être - qu’est-ce qu’ils veulent dire ? Je crois que c’est pas bien dit, pas bien expliqué dans les manuels, on dit : "la matière pour les grecs, c’est le non-être", bon c’est pas ça du tout . La matière c’est quelque chose, c’est parfaitement quelque chose, les corps rigides c’est parfaitement quelque chose. Les corps rigides c’est quelque chose du point de vue de la matière et de l’espace. Si ça peut être du zéro c’est donc d’un tout autre point de vue, de quel point de vue ?

Notre réponse on l’a : du point de vue du Temps. Si vous temporalisez pas, vous voyez pas pourquoi matière et corps rigides égal zéro. Pourquoi la distinction extrinsèque c’est zéro ? Il faut le mettre dans le Temps. Ca veut dire quoi ?

Ca veut dire que la temporalité propre à la matière et au corps rigide c’est le présent qui passe. Le présent qui passe. Il y a la table, je détourne les yeux, le mur, la table, le mur, je sais que au dehors il me faudrait du temps pour y aller, il y a le petit jardin, c’est délicieux - (rires) - et puis il y a le boulevard dangereux, ceci cela, ah là on est à l’abri dans la figure rigide de cette place. Et si je sors, ah bon d’accord... le présent qui passe, ça veut dire quoi le présent qui passe ? Ce qui passe de ce point de vue, ce qui n’est plus, c’est zéro, ce qui n’est pas encore du point de vue du Temps, ce qui n’est plus c’est zéro. Ce qui n’est pas encore, c’est zéro. Ce qui est, c’est zéro. Pourquoi ? Parce que c’est la limite entre un "pas encore" et un "ne plus". C’est ce que dira St Augustin en des termes merveilleux...

Mais ces deux temps le passé et l’avenir, ne les confondez pas avec le passé pur et l’avenir pur tel qu’on vient de le voir hein ? ça veut dire ce qui est passé et ce qui est à venir. Mais ces deux temps, ce qui est passé, et ce qui est à venir, comment sont-ils ? puisque ce qui est passé, n’est plus et que ce qui est à venir, n’est pas encore. Le présent même si il était toujours présent sans se perdre dans le passé, ne serait plus Temps, il serait éternité. Donc si le présent pour être temps, doit se perdre dans le passé, comment pouvons nous affirmer qu’il "est" lui aussi ? puisque l’unique raison de son être, c’est de n’être plus. De sorte qu’en fait, si nous avons le droit de dire que le Temps "est", c’est parce qu’il s’achemine au non-être.

Mais qu’est-ce que c’est que ce présent qui passe ? Limite d’un " pas encore" et d’un "ne plus", qu’est-ce que c’est ? comme il vient de dire, il s’achemine au non être. C’est un évanouissement... c’est une limite de temps ; limite entre un ce qui est passé et un ce qui est à venir. C’est une limite aussi proche de zéro qu’on voudra.Vous me direz bon il ne faut pas introduire les différentielles, pourquoi il ne faut pas introduire les différentielles pour les grecs ? parce qu’ils ignorent les différentielles. Les quantités dites évanouissantes. Non, ils ne les ignorent pas ; simplement ce n’est pas à l’allure du calcul dit infinitésimal, c’est à l’allure de quelque chose qui existe parfaitement chez eux et qu’on appelle dans notre géométrie la méthode d’exhaustion et qui comprend toute une théorie des limites et de l’approche d’une limite. Donc, je peux dire, c’est en effet un pur évanouissant.

Mais, bon Dieu, ce présent pur évanouissant, pure limite entre ce qui n’est pas encore et ce qui n’est plus - donc, en sens pur, « non-être »-, qu’est-ce que c’est ? C’est un instant aussi. C’est un instant. C’est un instant, seulement cet instant n’est pas le nun. Cet instant n’est pas un nun, ça, évidemment. Le nûn, c’était un instant privilégié - j’ai essayé de commenter ce que voulait dire « privilégié » - je dirai : cet l’instant qui est le présent qui passe, Ce pur évanouissant, c’est quoi ? c’est l’instant quelconque. C’est l’instant quelconque. Ce qui est zéro, c’est l’instant quelconque.

Voilà, maintenant j’ai deux instants. Comment ça se fait ? D’où est venu cet instant quelconque, cette histoire de zéro ? On a vu qu’on ne pouvait pas y échapper. La réponse facile mais globale ce serait : d’accord le nun opère une synthèse. Et dans la synthèse qu’il opère, il distingue un passé pur et un futur pur, par là ils fondent un Temps originaire. Mais en même temps il doit se réfléchir dans un instant d’une toute autre nature. Et ça, c’est la mauvaise réflexion. Cet instant d’une toute autre nature c’est l’instant quelconque ; le présent qui passe, le non-être ou le pur évanouissant.

Et vous comprenez pourquoi il doit bien se réfléchir avant ? C’est parce que c’est sur ce présent qui passe qui va s’exercer la synthèse. La synthèse du nun en tant qu’un instant privilégié va s’exercer sur l’instant qui passe en tant qu’instant quelconque. Ou du moins si ça se faisait ainsi, on serait sauvé ; et qu’on on est sauvé c’est que ça se fait ainsi. C’est la seule manière de conjurer le zéro ; le zéro est réel. La seule manière de conjurer le zéro, c’est-à-dire la course au néant de l’instant quelconque. Le zéro c’est exactement ça : la course au néant de l’instant quelconque. La course au zéro... la course à zéro, la course au néant de l’instant quelconque, c’est ce qu’on appellera le temps dérivé ; le présent qui passe. Le pur évanouissant. Et bien de deux choses, l’une. Voyons la première qui est la plus dure : la synthèse d’une nûn s’exerce sur le présent qui passe. Je suis sauvé... sauvé, sauvé. Ce n’est pas facile, hein ? Il ne faut pas mener n’importe quelle vie pour ça, ça ne se fait pas dans la tête. Ça se fait grâce à une vie exemplaire ; une vie véritablement néoplatonicienne qui est la vie de la contemplation. Alors, pourquoi je suis sauvé ? Je suis sauvé parce que - réfléchissez bien ... Ah non ! Ah ! C’est à côté !... (Rires dans la salle).... Ça vous gêne, hein ? C’est vraiment... Pourquoi qu’on est sauvé ? Je ne sais plus, moi. Enfin, ça va de soi, quoi... (Rires dans la salle) On est sauvé parce que l’instant qui passe, s’il arrive à être soumis à la synthèse d’un nun, - à ce moment-là les anciens présents - les présents passés - ne sont plus rien. Ils ne sont plus « plus rien » ; ils remplissent le passé pur sur une certaine longueur. A savoir, ils remplissent le passé pur autant - pour autant - que j’ai de souvenirs et les instants à venir remplissent le futur pur pour autant que j’ai d’attente, si bien que le présent qui passe reçoit une mesure, - c’est-à-dire le temps originaire reçoit une mesure - du temps dérivé... Non ! Merde ! ... Le temps dérivé reçoit une mesure du temps originaire si bien que je peux dire deux choses : le temps originaire est à la fois le nombre du mouvement intensif et la mesure du temps dérivé. Et je pourrais parler à ce moment-là d’un temps dérivé plus ou moins long. Suivant que je serai capable, par le nun, d’englober plus ou moins d’anciens présents - de présents qui ont passé - et d’anticiper plus ou moins de futur - des présents qui ne sont pas encore là. Donc, je serai sauvé. J’aurai soumis le présent dérivé à l’ordre du temps originaire.

Ou bien - et alors là - ou bien, c’est la chute : le nun se relâche. Il reste avec son passé et son futur pur mais son passé pur et son futur pur restent vides. Il tombe dans son double. Il se réfléchît dans l’instant quelconque, dans le pur évanouissant. Et dans ce pur évanouissant il se réfléchit, il se défait. Et je cours d’objet en objet, oubliant l’objet précédant, incapable de prévoir le suivant. Je cours, je cours mais comme le présent qui passe je cours au tombeau ; je cours au non-être. Perdu.

Triomphe du temps dérivé. Le temps dérivé a secoué son modèle. Il s’est libéré du joug du nun. Il s’est affranchi, à quel prix ? Nous entrainer à la mort. Nous courons, nous nous agitons. Nous nous agitons dans l’évanouissant. Nous ne cessons de nous évanouir d’objet en objet. Et les uns appelleront ça « la dissipation de l’âme » et les autres appelleront ça « la distension de l’âme », et les autres appelleront ça « le divertissement de l’âme ». Ils le décriront très différemment, mais ce sera toujours sous un signe d’une solennelle peur. La peur liée au Temps dont parlait Claudel. Et la peur liée au Temps dont parlait Claudel, c’est la révélation du néant de la créature. Et cette peur va augmenter quand on passera du néoplatonisme au christianisme et va prendre une proportion énorme. Et la peur du Temps, c’est très précisément l’angoisse que le temps dérivé se soustrait à l’ordre du Temps originaire. Ou, si vous voulez, la peur panique que l’instant quelconque destitue l’instant privilégié, destitue le nun.

Je suis sûr que vous avez compris du fond de votre âme. De toute manière, si vous n’avez pas compris du fond de votre âme ce n’est pas la peine que je recommence puisque ça ne peut être compris que du fond de l’âme. Ah voilà. Et si vous n’avez pas compris du fond de l’âme c’est que ce sont d’autres philosophies qui vous conviennent. Donc, de toute manière n’a aucune importance ni pour vous ni pour moi. Dernière confirmation et j’en aurai fini. J’en fais un troisième point uniquement d’appui. Ce serait bien alors - si ce que je dis est un peu vrai - il faudrait que dans la terminologie il y aie un mot qui se distingue du nun. Si le nun c’est l’instant privilégié comment pouvait parler de l’instant quelconque les grecs ? C’est rigolo ; ils ont un mot. Ils ont un mot - mais là aussi ne faites pas dire que ça veut dire instant quelconque. Car ce sera un de ces sens. Et c’est un très beau nom, très difficile à prononcer -alors je vous le dit parce qu’il faudra vous exercer. Et là, pour le traduire en français on peut... comme il a toutes sortes de sens -c’est comme « nun ». On peut toujours le traduire par le « maintenant » mais... ah ! Comme il est long en plus... (rires dans la salle) Ça c’est le mot de la perte, le mot du salut c’est le « nun » et le mot de la perte c’est : « exaiphnês ». « exaiphnês », qu’est-ce que ça veut dire dans les dictionnaires, dans le langage courant grec ? Ça veut dire « le soudain ». C’est un adverbe, c’est un substantif, ça veut dire « soudain », « brusquement » ; « soudain, « brusquement ».

Mais voilà que Platon écrit un texte sublime qu’il appelle le Parménide. Et voilà que le Parménide est un texte que pour les néoplatoniciens sera un texte de base, de référence, au point que les plus grands textes des disciples - les plus grands textes qui nous ont été conservés en tout cas - des disciples de Plotin s’intitulent et se présentent comme des commentaires du Parménide. Ils nous restent deux magnifiques commentaires du Parménide, que les commentateurs modernes généralement n’ont fait que recopier, ce qui n’est pas très très fatigant - mais ils ne l’ont pas toujours dit d’ailleurs, c’est un commentaire du Parménide, fait par Proclus et un commentaire du Parménide fait par Damascius sous le titre des "Premiers Principes".

Or, le Parménide, si vous le lisez un jour - si vous regardez même comment s’est constitué, vous verrez que c’est un livre assez dément puisque il développe tout un ensemble de paradoxes. C’est le grand développement des paradoxes platoniciens. Et qu’il emploie une méthode très curieuse, il porte sur l’Un ; qu’est-ce que l’Un ? Il procède par hypothèses :

Première hypothèse - je ne vais pas les dire toutes parce qu’il y en a beaucoup, beaucoup. Je vous en dis les trois premières parce que c’est elles qui m’intéressent pour finir ce point : si l’Un n’est pas, au sens de "supérieur à l’être", si l’Un est plus que l’être, qu’est ce qu’il faut en conclure ? Voyez, tout de suite, si l’Un est supérieur à l’être la première chose qu’il faut en conclure c’est qu’il n’est pas. Mais alors qu’est-ce que ça veut dire « l’Un n’est pas » ? ça correspond , vous pensez si les néoplatoniciens étaient contents ! Ça correspond à l’Un puissance R Il va en sortir toute sorte de paradoxes délicieux.

Deuxième hypothèse : si l’Un est, qu’en résulte-t-il ? Vous voyez tout de suite si l’un est, la première conséquence c’est qu’il est deux, - c’est embêtant pour l’Un. Si l’Un est c’est forcément il est deux puisque quand je dis « l’Un est un » et quand je dis « l’Un est » je dis deux choses. Et ce n’est pas de la même manière qu’il est un et qu’il est. Donc, si je dis « l’Un est » je dis : il est deux. S’il est deux je suis pas sorti de l’affaire... parce que ça va bondir ça... là, ça va mal, ça tombe mal... (rires dans la salle)

Troisième hypothèse : si l’Un est moins qu’R, si l’Un est inferieur à l’être. Donc, là c’est encore pire ce qui se passe... Et puis, il y a quatre autres hypothèses, c’est-à-dire en tout il y a sept hypothèses. On en reste aux trois premières. Je dis la seconde lance - et je crois que c’est le lancement de la notion philosophique, que c’est là que ça devient un concept philosophique - lance l’idée du nun. Le nun étant précisément la synthèse, voyez pourquoi c’est en seconde hypothèse, la synthèse de l’être et de l’Un qui en tant que telle engendre le temps. Dont je crois sauf, il faudrait examiner chez les présocratiques si le nun apparaît chez eux, mais ça m’étonnerait - je jurerais que non...- en tout cas il peut apparaître comme mot au sens d’un mot ordinaire, mais c’est Platon qui fait du nun un concept philosophique. Mais la troisième hypothèse nous livre - et ça sort d’où ? Platon aussi parce que je crois pas que ça soit du tout de Héraclite, enfin de Héraclite qu’est-ce qui sait ? puisque il nous reste quasiment rien, mais quand même on sent un petit peu, il y a des moyens de se guider, vous comprenez, parce que quand Platon emprunte une notion à des prédécesseurs - c’est pas que les grecs n’avaient aucun sens de la citation, donc ils ne citent pas - mais il prend un certain ton qui n’est pas le même que quand il forge lui même une notion, il prend un certain ton et notamment toujours un ton critique, qui est comme un clin d’œil pour guider le lecteur qui fait référence à une théorie déjà bien connue. Dans la troisième hypothèse, il lance le concept de "exaiphnês". Et qui n’est pas du tout comme le nun, et qui est explicitement défini comme un évanouissant. Comme un évanouissant, et comme l’instant quelconque dans le Devenir. Vous voyez, c’est très différent, ce n’est pas l’axe synthétique qui va constituer le Temps, c’est l’instant dans le devenir. Alors, ça je ne vais pas du tout le développer puisque ça nous entrainerait tout à fait ailleurs que notre recherche actuelle. Je ne dis pas que les deux notions chez Platon coïncident avec ce qu’on en a tiré, nous. Surtout ne mélangez pas.

Je dis uniquement que Platon propose déjà une distinction entre les deux notions et que cette distinction bien que très différente de celle que nous prétendons découvrir chez les néo-platoniciens, que cette distinction est très intéressante pour l’avenir du néo-platonisme.

Alors, j’ai répondu à la question : en quoi le régime des distinctions géométriques c’est zéro ? et en quoi précisément nous y risquons notre salut ? Et là, je voudrais - parce qu’ils sont imprégnés quand même de ces choses, pas de néo-platonisme forcement mais d’une certaine conception très... enfin très... « procession-conversion » - je voudrais pour finir lire précisément - mon point c’est toujours : essayer de vous faire comprendre qu’il est très normal de traiter le monde des distinctions rigides comme une espèce de néant ou comme une espèce d’introduction au néant, si on ne l’interprète plus en termes d’espace mais en termes de Temps.

Voyez, c’était tout là ma remarque, le monde de figures rigides si vous ne l’interprétez pas, si vous ne le maintenez pas strictement en termes d’espace et si vous y introduisez le Temps si vous l’interprétez en termes de temps, il vous mènera directement au pur néant. Et je prends un romancier Russe qui s’appelle Saltykov, de la fin du XIXe, S-A-L-T-Y-K-O-V. Et je vous lis juste l’état d’un alcoolique, comme seuls les Russes savent le décrire... non, eh...oui, je veux dire... ça serait un bon sujet de thèse, je dis, si quelqu’un parmi vous veut faire une thèse là-dessus, la différence entre l’alcoolique russe et l’alcoolique américain dans les deux littératures... (rires dans la salle)... ça, c’est pas du tout pareil hein... pas du tout pareil une fois dit qu’ils boivent beaucoup tous hein, c’est pas comme les français... je parle même pas des japonais avec le saké parce que là c’est la catastrophe quoi... (rires dans la salle) Et ben alors on peut faire une thèse, la littérature comparée mondiale, l’alcoolique dans la littérature comparée mondiale. Et le Russe tiendrait une place de choix... Voilà, voilà le pauvre alcoolique de Saltykov... qu’est-ce qu’il dit, tiens... écoutez bien : « Son esprit affaibli, s’efforçait de créer des images » - il avait la nostalgie du nun, il voulait se pencher au dehors - « sa mémoire engourdit tentait de pénétrer dans la région du passé » il essayait de refaire encore la conversion, de rappeler le nun à soi , « ...mais ces images étaient décousues, absurdes, et le passé ne lui renvoyait aucun souvenir ni amer ni joyeux. Comme si un mur solide s’était élevé une fois pour toutes entre lui et la minute présente. Devant lui, Stefane, - il s’appelle Stefane - Devant lui, Stefane n’avait désormais que le présent sous forme d’une prison herméneutiquement fermée. » c’est pas le présent de l’instant privilégie, c’est pas le présent du nun, « ...dans laquelle avait disparu sans laisser de trace et l’idée de l’espace et l’idée du temps. La chambre, le poele, les trois fenêtres... » c’est ça les corps rigides, « La chambre, le poele, les trois fenêtres, le lit de bois qui grinçait, son matelas mince et aplatî, la table et la bouteille que se trouvait dessus, son esprit ne cherchait pas d’autres horizons. » Donc, il est dans l’élément de la figure rigide. Quoi de plus géométrique, que toutes ces figures ? « Mais à mesure que le contenu de la bouteille diminuait, à mesure que sa tête s’échauffait... »... (interruption de l’enregistrement) ....

...forme géométrique fonde, mais ça n’est plus qu’au profit des figures de lumière. Elles tombent dans le noir, elles tombent dans le zéro. « L’obscurité elle-même disparaitrait, et enfin sa place apparaissait une étendue parsemée de douleur phosphorescente » c’est du néant, ça « C’était le vide... » Ben il le dit, tant mieux...et ben oui, il le dit, hein « C’était le vide infini désolé, n’emettant aucun son qui réveille à la vie. Plongé dans une lumière sinistre. Pas une pensée, pas un désir » On dirait aussi bien "pas un souvenir, pas une attente". « Devant ses yeux le poêle » Ah, il y a un retour à une figure rigide. « Devant ses yeux le poële. Sa pensée se remplissait si bien de cette image.. » et évidement il s’y accroche : l’objet quelconque. Il s’accroche à l’objet quelconque et l’objet quelconque c’est l’objet qui se présente à l’instant quelconque. « Sa pensée se remplissait si bien de cette image qu’il ne recevait aucune autre impression. Puis, la fenêtre prenait place. » Voyez la succession des présents qui passent ; après le poële, la fenêtre. « Puis, la fenêtre prenait la place du poële, la fenêtre, la fenêtre, la fenêtre. Il n’avait besoin de rien. » Je n’ai besoin de rien, de rien. « Sa pipe se bourrait et s’allumait machinalement et lui tombait des mains avant qu’il eut achever de la fumer. Il marmottait quelque chose mais il était évident que c’était seulement par habitude. Le mieux est de rester tranquille sans rien dire et de fixer un point. Il serait bon de se remettre à boire en ce moment. Il serait bon d’élever la température de l’organisme... pour rattraper un nun, mais hélàs tout nun... » (Rires dans la salle)... la fin est rajoutée ... (Rires dans la salle) Pardonnez-moi j’ai pas pu m’empêcher. Une dernière honneteté m’a... Mais en revanche tout le reste est bien dans le texte. Et montre ce passage de l’objet géométrique au néant, du point de vue du Temps. Voilà. Alors, vous comprenez ça ? On a presque fini un grand bout. Et je voudrais enchainer, juste avant qu’on se donne un petit repos, je voudrais enchainer parce que moi je connais -ne voyez aucune vanité dans ce que je dis- je connais assez bien les néoplatoniciens, en revanche Saint Augustin je connais très très mal.

Eric, là, qui travaille beaucoup et qui connaît très bien Saint Augustin. Alors, ma question à Eric c’est : tout comme tu avais fait merveille pour l’histoire de la grande crise d’Aristote, là, le temps de la chrématistique par opposition au temps de l’économie, je voudrais là que tu enchaines sous la forme ; - - est-ce que Saint Augustin, d’après toi, se coule dans ce schéma dans une certaine mesure, est-ce qu’à ton avis c’est au contraire très différent, est-ce qu’on pourrait au moins s’entendre sur une position moyenne qu’il renouvelle le schéma dans le sens du christianisme mais qu’il en garde quelque chose d’essentiel ? voilà ce que je voudrais que tu dises.

(Intervention Inaudible)

Deleuze : Répète avec la machine, avec la machine parce que c’est pas moi qui parle mais c’est peut être parce qu’elles prennent pas que... si tu peux parler le plus fort que tu peux hein... (31 :33) Eric : oui, montrer parce que en fait c’est très curieux comme (...) Dans la lecture de Saint Augustin que (...) j’ai cette impression que... Gilles Deleuze : j’en vois qui fument hein... celui qui parle a le droit de fumer. Les autres... non ! on va s’arrêter, vous allez pouvoir fumer vraiment dehors, dans deux minutes... non ! parce qu’on sera coupé d’attention...

Eric : J’ai cette impression que (...) absolument irréprochable et en même temps qu’un certain nombre de propositions sont plus ou moins superposables, donc, de Plotin à Saint Augustin (...) des grands lieux communs dans l’histoire de la philosophie (...) effectivement le fameux néoplatonisme. Simplement ce que je voudrais montrer aussi c’est que à travers un décalage qui me semble tout à fait irrésistible d’une part et d’autre part, le même avis (...) (...)et effectivement Augustin annonce tout à fait autre chose du côté d’une nouvelle subjectivation du temps. Alors, au niveau de cette espèce donc de squelette très schématique. Bon, moi je partirai donc d’une citation de Plotin que je crois que (...) et Plotin il dit « il suffit de dire que le mouvement pourrait cesser de n’avoir lieu que par intervalles dans le temps » c’est précisément de là que part également Augustin dans le livre 11 de ses Confessions dans sa critique d’Aristote, et il va approfondir cette hypothèse en utilisant également la tradition (...). Mais ce renversement est important par rapport à Aristote puisque chez Plotin (...) on en arrive à mesurer le mouvement d’un corps par le temps. La phrase est pratiquement dans le livre 11 des Confessions (...). Donc, ça ce serait le premier point toujours d’une manière aussi telegraphique et cette citation je crois c’est (...) « La nature curieuse d’action, qui voulait être maitresse d’elle même et être à elle même choisit le parti de rechercher mieux que son état (...) alors elle bougea et lui aussi, c’est-à-dire le temps reposant dans l’être qu’on retrouve sous une forme évidement cristallisée chez Augustin avec la fameuse thèse de (...), donc le temps reposant dans l’être se mit en mouvement et ils se dirigèrent vers un avenir toujours nouveau. » donc, la première chose déjà que nous pouvons remarquer c’est que également chez Augustin il y a une approche du temps qui est définie d’abord par l’avenir vers lequel il marche comme chez Plotin le définit (...) à travers le manque (...). Bon, par contre chez Augustin il y a une attitude du côté de cette chute idéale (...) et du côté de la chute réelle. (...) « Lorsque Adam opposât l’amour de soi à l’amour de Dieu, les hommes perdirent la stabilité dans la durée » (...)

Deleuze : Tu me permets de te couper très vite parce qu’en effet, là c’est un point où tu as fondamentalement raison. Pour le christianisme il n’y a plus de chute idéale. Ça, la chute idéale, est un concept très, très chrétien... très même, très anti-chrétien, que le christianisme ne peut pas supporter puisque c’est la négation de la création. C’est la négation de la création alors ça, si il y a un point en effet... le néoplatonisme n’aura aucun équivalent possible. C’est pourtant aussi admirable la chute idéale.

Eric : (Intervention inaudible)

Deleuze : ça c’est la synthèse

Eric : (Intervention inaudible)

Deleuze : C’est à dire c’est le mouvement de l’âme qui est le premier parce que c’est lui qui constitue le postérieur et l’antérieur...

Eric : intervention inaudible mon troisième point mon quatrième point...

Deleuze : tu es d’accord la chute réelle c’est la distansion Eric : on aurait la tentation de faire un parallèle entre un temps... ;

Eric : (Intervention inaudible)

Deleuze : voilà mon souci, Eric, encore une fois tu connais Saint Augustin mieux que moi. Moi, j’ai le sentiment que, il y a bien tous les décalages que tu veux, qu’il y a quand même une distinction Temps originaire - temps dérivé chez Saint Augustin. Qu’il n’y a pas simplement... eh... et que, le temps dérivé c’est le présent qui passe. Le Temps originaire c’est le présent réfléchi sous forme de présent du présent, présent du passé, présent du futur ; puisque c’est ça qui permettra de dire un temps est plus lent qu’un autre. Alors, que le présent du présent, le présent du présent du passé du futur, le présent détriplé, est réellement une synthèse originaire, et que le présent qui passe, lui, n’est qu’un temps dérivé qui recevra sa mesure du Temps originaire si bien que le point où je serais d’avance d’accord avec toi c’est que sans doute il ne conçoit pas la synthèse du temps originaire de la même manière que Plotin et les néoplatoniciens. Mais il y a bien les deux aspects du temps : temps originaire et temps dérivé. Là tu serais d’accord, j’ai cru que... ah ! bon, bon, d’accord....d’accord, d’accord... oui,oui, c’est moi qui n’ai pas bien compris alors...

Éric : simplement, Il pose quand même problème ...

Deleuze : Il a beaucoup plus peur que les autres. Je veux dire le christianisme, pour la raison que tu as dites, parce que il y a plus de chute idéale, toutes les chutes sont réelles, la peur du Temps, qui est le signe, qui est la signature que nous ne sommes que néant, comme dit Claudel, quand il termine sur la peur du Temps, qui signifie que nous sommes néant en tant que créatures, que nous sommes néant au sein de Dieu, ils ont une peur du Temps, que les grecs n’avaient pas raison d’avoir. Il faut renverser le lieu commun. Le lieu commun ça consiste à dire : les chrétiens découvrent le Temps, les grecs ignoraient le Temps puisque ils croyaient qu’aux rotations, etc.., toutes ces bêtises là ! C’est pas ça du tout, bien plus, Il me semble que les grecs ont beaucoup moins peur du Temps que les chrétiens. Les chrétiens c’est vrai, qu’ils découvrent le Temps, si l’on appelle découvrir le Temps, le découvrir dans la crainte et le tremblement ; c’est eux qui ont la crainte et le tremblement vis-à-vis du Temps. Les autres c’est pas qu’ils ignorent le Temps, ni le temps historique, ni le temps physique, ni le temps cosmologique tout ça... Ils connaissent parfaitement tout ça, mais pour eux c’est des situations, il y a des crises beaucoup plus que des peurs ! il y a des grandes crises, dont ils vont tous crever, ils le savent ; crise de la cité, crise de l’ histoire , crise de tout ce qu’on veut, mais hein ! tu serais d’accord avec ça ?

Éric : oui ! tu vas tout à fait dans le sens de ce que dit Kant ( ?) pour « Augustin » ( inaudible)..

Deleuze : Ouais,ouais !

Éric : :... de se lancer à sa conquête du Temps qu’après avoir prouvé la position transcendante de l’âme par rapport au Temps.

Deleuze : Ouais, ouais ! mais cette position transcendante est un acte de synthèse constitutif d’un Temps originaire.

Éric : tout à fait ! alors j’en arrive pour conclure à ce qui est quand même un peu l’énigme, l’anomalie qu’a Augustin par rapport à ce schéma, c’est que chez Plotin, la dimensionnalité, la vectorisation du Temps, est très nettement marquée par : passé, présent, futur.. ça on peut trouver un certain nombre de citations ... dans les Ennéades.. Ce qui me semble important là, en suivant d’ailleurs un raisonnement que fait Merleau-Ponty et qui me semble très, très bon et curieusement, il cite un moment donné Augustin, qui passe complètement à coté de ce mouvement, en tout cas sa démonstration, demeure et je crois que ce mouvement, ce mouvement de dimensionnalité : passé, présent, futur, se ramène toujours d’une certaine manière à un mouvement de type circulaire. Donc l’image du temps circulaire compte chez certains plus d’un ( ?) On l’a retrouvée à maintes reprises depuis, aussi et c’est plus .. ;. Bon, c’est dans la deuxième Ennéades et dans la sixième Ennéades, je crois, qu’on retrouve les meilleurs, les meilleurs développements là-dessus. L’âme universelle circule autour de Dieu, elle l’environne de son amour, elle s’occupe autant qu’elle peut autour de Lui, ne pouvant être dirigée vers Lui elle se meut autour de Lui . Et ensuite le Temps est comme une ligne, qui paraît se prolonger encore, bien qu’elle dépende d’un point central autour duquel elle tourne. Partout où cette ligne s’avance, elle garde l’image de ce point qui lui-même ne se déplace pas et autour duquel elle s’enroule circulairement .. Par contre, chez Augustin, ce qui est assez surprenant, c’est que la dimensionnalité Temps est tout à fait inversée, c’est-à-dire que le Temps vient du futur, pour aller vers le passé et cela on le trouve aussi bien dans les « Confessions » que dans » la Cité de Dieu. » .

Deleuze : ça c’est important ! un primat du futur ? oui ! parce qu’en effet ce n’est pas le même futur. C’est pas le futur d’une procession, c’est pas le futur d’un "se pencher dehors"... c’est ouais, ouais, ouais !

Éric : D’où l’importance de cet...

Deleuze : D’où l’importance de la théorie du futur...ce serait ça la véritable nouveauté de Saint Augustin, rompre avec la théorie des futurs contingents des Anciens, pour faire une nouvelle théorie des futurs - qui s’insèrerait pour ceux qui se rappellent alors, à ce moment là, dans ce qu’on a fait dans le premier trimestre, lorsqu’on est tombé sur le problème des futurs contingents : la bataille navale qui aura lieu demain ou qui n’aura pas lieu demain.. ouais !.. Moi dans ce que tu as dit, il n’y a qu’un point où je ne peux pas te suivre, là où toutes mes fibres protestent. Seulement les textes te donnent raison, c’est question d’évaluation des textes. Tu trouveras tous les textes que tu veux, ça tu as raison pour parler chez Plotin d’un temps circulaire, mais je crois que c’est des textes secondaires qui sont des hommages à Platon, mais je ne crois pas du tout cela. je crois qu’ils n’ont absolument rien de circulaire, c’est le temps circulaire. Il ne peut pas y avoir un temps circulaire de l’âme, non ! ce qu’il peut avoir, c’est de la métempsychose. Mais c’est un point très, très important le thème de la réincarnation des âmes et le thème de l’éternel retour, c’est à dire de la circularité, sont deux thèmes absolument différents, que l’on confond mais on confond ça quand c’est du vite fait. Il y a, chez les néo-platoniciens- ce à quoi ils tiennent, c’est ce qu’on appelle la palingénésie, qu’on peut appeler une circulation, la métempsychose, le changement des vies de l’âme etc. . Mais c’est très frappant que c’est une idée qui a des origines complètement différentes de celles de l’éternel retour astronomique c’est-à-dire du mouvement rotatoire...complètement différente. Alors là où Eric a raison, c’est qu’en effet, cela pose un problème d’interprétation ça, très délicat, parce que vous trouverez chez Plotin tous les textes, toutes les métaphores circulaires que vous voudrez. Pour Moi, ce n’est absolument que des métaphores et des hommages à Platon et au mouvement circulaire de Platon. C’est sa manière de récupérer Platon et dire : « mais oui, oui je suis quand même Platonicien » mais je ne crois pas que, en lui-même, il intègre quoique ce soit d’un mouvement circulaire : pour une simple raison, c’est que le mouvement des puissances ne peut absolument pas être circulaire. La conversion n’est pas une circulation. Il n’y a pas si tu veux, il n’y a pas, il ne peut pas y avoir circularité, processions, perversions. C’est beaucoup trop, la circularité c’est un mouvement physique ou cosmologique. Je ne crois pas qu’un mouvement de l’âme puisse être de circularité et pour une raison simple c’est que même, du point de vue de la métempsychose, le problème c’est quoi ? Ce n’est pas d’assurer la » roue des naissances » - comme on dit la roue mais c’est à tort qu’on dit une roue - c’est de sortir « de la roue des naissances ». C’est dire à quel point ce n’est pas circulaire, la palingénésie elle est fondamentalement liée à l’idée d’une sortie c’est-à-dire ce n’est pas un cercle, on ne sort pas d’un cercle, un cercle c’est fermé par définition. Si j’insiste là-dessus c’est que, historiquement, mythiquement, en tous les sens, les deux thèmes, le thème des renaissances de l’âme et le thème de l’éternel retour astronomique sont absolument différents et ont des origines absolument différentes ; ça n’empêche pas que tu as absolument raison sur le vocabulaire de Plotin, il rendra son hommage à Platon mais moi je n’y vois rien d’autre qu’un hommage, contrairement à toi.

Éric : (son très faible) non je veux dire que là c’est aussi quelque chose qui me gêne parce que là c’est vrai que d’une certaine manière, je reviens à cette définition donc qu’au début de mon travail j’avais complètement rejetée....donc c’est vraiment un lieu commun : temps circulaire grec, temps linéaire chrétien...

Deleuze : oui, il ne faut surtout pas, il ne faut surtout pas ça

Éric : C’est une évidence que chez les grecs il y a un certain nombre de faits...... tout à fait chez les grecs, des conceptions de temps linéaire et qu’inversement on peut tout à fait trouver chez Augustin des conceptions presque sophistes ( ?) donc cela joue dans les deux sens...

Deleuze : il n’y a plus les chrétiens, ils ont repris toutes les conceptions cycliques qu’on veut

Éric : ... Ce qui m’a fait quand même réintroduire un tout petit peu ces textes de Plotin que, dans un premier temps où j’avais effectivement un peu pris comme des métaphores, c’est quand même, cette opposition qui me semble être intervenue entre passé, présent, futur et structure.

Deleuze : là c’est le point très important, une synthèse du Temps originaire qui serait organisée en fonction du futur - du coup ça ne m’étonne pas que, comme par hasard t’invoque Merleau- Ponty parce que Sartre et Merleau-Ponty, ils tenaient énormément à une synthèse du Temps qui serait déterminée par le futur, qui serait déterminée en fonction du futur, puisqu’ils reprochaient à Husserl et Heidegger de ne pas avoir compris ça : le prima du futur. Là il y aurait en effet un « augustinisme » des français, des existentialistes français qui seraient très bien, qui serait...euh... parfait, parfait, parfait.

Éric : (très faible son : paroles inaudibles) le fameux livre de ... ( la suite est couverte par la voix de Deleuze)

Deleuze : Si Sartre avait su ça...euh

Éric : (très faible son)....de la conscience du temps s’ouvre sur un hommage à Augustin.

Deleuze : De Merleau- Ponty ?

Éric : non de Husserl !

Deleuze : Ah ! Je ne me souviens pas, les » leçons sur le Temps » tu dis ?

Éric : oui ! ça commence par un hommage à Augustin je ne me rappelle plus exactement de la phrase. ;

Deleuze : ah oui « leçons sur la conscience intime du temps » oui, oui, oui, oui,....oui mais Husserl, c’est un « théologien » alors, il connaissait, il connaissait très bien Augustin, oui, il les connaissait tous - c’est un père de l’église Husserl, (rires) ... D’ailleurs tous ses disciples... (Nouveaux rires) C’est fini ? Tu as fini ? ...

Éric : Oui je voudrai juste...

Deleuze : C’est rudement bien

Éric : (une phrase inaudible : en conclusion ! Ce qui est assez marrant, c’est cette ambivalence donc de la compression du temps chez Augustin, c’est ses conséquences en fait au niveau du problème de l’usure... puisque, en fait, on va jouer certains textes d’Augustin sans ....puisque donc le grand argument pour justifier la prohibition de Dieu c’est : on ne peut vendre le temps, le temps n’appartient qu’à Dieu. Là, effectivement donc on se sert explicitement des textes d’Augustin sur le temps, créature de Dieu. Mais ce qui très curieux, c’est que aux onzième, douzième siècle, des « augustiniens « vont s’inscrire en faux, par rapport à cette conversion, en faisant jouer au contraire le temps des confessions , c’est-à-dire en jouant Augustin contre Lui...

Deleuze : Ah ouais ! Bon...en quel siècle tu dis ?

Éric : (inaudible couvert par la voix de Deleuze

Deleuze : Saint Augustin c’est quel siècle ?...oui ...

Éric : Saint Augustin ? Cinquième...

Deleuze : Cinquième !....il est avant Damacius.. C’est rigolo tout ça...et les « Augustiniens » que tu dis, c’est quand ?

Éric : les « Augustiniens » que je dis, c’est le douzième siècle

Deleuze : douzième, ouais, ouais !...

Éric : Et la fameuse condamnation de (.. ) en 1255 va essayer de mettre le holà en disant, en interdisant de...

Deleuze : Eric je t’aime, quand tu dis la fameuse condamnation suivie d’un nom complètement inconnu... (Rires)...

Eric : de fait il y a trois livres.

Deleuze : Y a quoi ?

Eric : Il y a trois livres de Duhem ...

Deleuze : Tu vois comme la culture corrompt ! (Rires) Duhem il a fait trois livres sur la fameuse condamnation.

Interlocuteur : (inaudible, entrecoupé de rires)

Deleuze : bon, bon, ... bien écoute c’est parfait, parce que ça nous fait un ensemble ...alors bah oui ! je vais être en retard ...on se repose cinq minutes et puis on se retrouve mais pas longtemps ... Je vais vous dire ...oui ... un petit repos. Quelle heure vous avez, au juste ?

[Reprise d’enregistrement]

Et bien je crois qu’on est en vacances jusqu’au vingt sept...ah ! non ! jusqu’au dix sept...(rires ... brouhaha ) jusqu’au dix sept, c’est ça non ?

Assistance : oui c’est cela...

Deleuze : jusqu’au dix sept, jusqu’au dix sept avril, le 17 avril est un lundi

Assistance : non c’est un mardi...

Deleuze : non un lundi... (Brouhaha) alors on est en vacances jusqu’au dix sept au matin...

Assistance : jusqu’au mardi matin.

Deleuze : c’est ça jusqu’au lundi seize alors ? on est en vacances jusque là ou jusque là ? non, non. On reprend le 16 bah, c’est ce que je disais.

(Brouhaha de voix des étudiants et de Deleuze)

Deleuze : Bon alors je suis un peu en retard. je termine : voilà exactement les conclusions que nous sommes en mesure de tirer pour le moment... Je vois trois groupes de conclusions : Nous avons considéré trois images qu’on peut appeler" images indirectes du temps", trois sortes d’images indirectes du temps.

Le temps : première image : le Temps comme mesure du mouvement extensif, chez Platon et chez Aristote... Un tel temps renvoie à l’idée de positions privilégiées par lesquelles passe un mobile. Deuxième étude que nous avons faîte : le Temps comme la seconde forme de temps comme image indirecte, cette fois ci c’est le temps, comme nombre du mouvement intensif de l’âme : chez Plotin, les néo -platoniciens et brièvement chez Saint Augustin. Cette seconde conception implique la position sur le mouvement intensif d’instants privilégiés," nun"". Troisième ordre de recherche qui à première vue n’avait rien à voir et à seconde vue non plus. Tant que le cinéma s’est présenté, comme image-mouvement, l’image correspondante du Temps était obtenue par montage, donc comme image indirecte du temps.

Cette image indirecte du temps avait deux aspects, comme par hasard : le temps comme découlant du mouvement du monde ou du mouvement extensif, du mouvement dans l’espace, et c’était le grand cinéma mouvement.

D’autre part le temps comme découlant, par montage également, d’un mouvement supposé de l’âme et c’était le grand cinéma de la lumière, même si la lumière était conçue de manière très différente, par l’expressionisme allemand et par l’école française. Mais le temps comme découlant d’un mouvement de l’âme avec le problème de la chute, tout çà, je ne dis pas que l’âme, d’où Murnau, soit néo-platonicien. je dis que le cinéma a recréé pour son compte des problèmes, que la philosophie pour son compte avait traversé - je ne dis pas résolus.

Deuxième ensemble de résultats, ça c’était notre premier ensemble de recherche. Deuxième ensemble : partout on constatait des abd ... Quest-ce qui, qu’est ce qui rendait cette position difficile ? Conclure le temps du mouvement c’est-à-dire, tirer du mouvement extensif ou intensif, une image du temps qui ne pouvait être qu’une image indirecte, dés lors. Quelles étaient les difficultés ? Et bien, les difficultés tenaient en ceci : c’est que dans tous les domaines (blanc dans l’enregistrement)... : anomalie du mouvement extensif, dans tous les domaines, aberration astronomique c’est çà dire aberration dans le mouvement des planètes ; anomalie physique à mesure que l’on se rapproche de la terre : le monde sub lunaire d ’Aristote ; anomalie politique avec la crise de la Cité grecque, ; anomalie économique indiquée de manière exemplaire par Aristote, à mesure, que se développe des formes qu’on peut déjà appeler formes d’un pré-capitalisme. Dans cette première direction c’est une crise du Temps comme image indirecte du mouvement, du mouvement extensif - c’est fondamentalement une crise, le concept fondamental est celui de crise.

Dans la seconde direction, le Temps comme image indirecte du mouvement intensif de l’âme, se développe aussi une formidable anomalie, à savoir la chute réelle, et le temps dérivé. Ce Temps qui court au néant -d’où peur, cette fois ci et non plus crise - cela va être le signe de la peur, peur que le temps dérivé prenne son indépendance, c’est-à-dire cesse de soumettre aux exigences du Temps originaire... Dans le tout autre domaine du cinéma, l’image-mouvement n’a jamais été séparable d’anomalies du mouvement, anomalies proprement cinématographiques. De ces anomalies, les faux raccords sont un exemple et seulement un exemple parmi mille autres... Quand est ce que les anomalies du mouvement culminent dans le cinéma ? Notre réponse a été au premier semestre : c’est lorsque se produit une faillite des schémas » sensori- moteurs » c’est-à-dire, lorsque la situation ne se prolonge plus naturellement en action, normalement en action, lorsqu’il y a une faillite délibérée, une mise en question des schémas sensori-moteurs. A ce moment là, il devient très difficile en fonction de toutes ces anomalies du mouvement, de maintenir le Temps comme une simple image indirecte du mouvement.... le Temps tend à prendre son indépendance, à secouer sa dépendance à l’égard du mouvement.

Troisième résultat, troisième groupe de résultats : dés lors, on se trouve devant un choix dans les trois domaines envisagés ou bien tenter de sauver, le primat du mouvement sur le temps. La seule question c’est à quel prix ? Ou bien , non seulement accepter mais vouloir, cette libération du Temps à l’égard du mouvement, ce qui voudra dire : autonomie du temps dérivé , effondrement de l’idée d’un temps originaire : il n’y a plus que du temps dérivé, si bien que le temps dérivé n’est plus un temps dérivé. On s’engage dans une aventure où il faudra saisir une image directe du temps, une image-temps directe ou si vous préférez le Temps en personne, un peu de Temps à l’état pur ! C’est le mouvement qui dépendra du temps et non plus le temps qui se conclura du mouvement, dans le second terme de l’alternative.

Premier terme de l’alternative on essaie de sauver ce qui peut être sauvé et de maintenir le temps dérivé sous les exigences de la synthèse du Temps originaire, à quel prix ?

Première possibilité : maintenir une vie rurale, le temps, maintenir une vie rurale. Le temps de la quotidienneté, le temps dérivé, c’est le temps de la vie quotidienne, le temps de la quotidienneté, de la banalité quotidienne, le temps dérivé, le temps de la quotidienneté - il faut le maintenir malgré tout et se mettre dans des conditions où il sera rythmé - quelques soient les aberrations où il sera rythmé par les points cardinaux ou les saisons. Il faut dans le monde sub-lunaire , se mettre dans les meilleures conditions, pour recevoir les effets du mouvement extensif le plus parfait. Et c’est pour sauver une communauté rurale, car c’est le paysan qui est proche de...etc..., qui est proche des » travaux et des jours ». Les » travaux et les jours « sont le titre d’un livre d’Esiode, c’est le thème d’une conformité avec la nature. Conformité avec la nature ça veut dire, on maintiendra le temps dérivé, sous les exigences d’un Temps originaire qui lui-même renvoi au grand rythme de la nature, au grand rythme du monde et de la nature... Dans la cité grecque ça représente la réaction rurale, ça représente quelque chose comme Aristophane, dans sa haine de Socrate, l’espoir de sauver la Cité grecque en constituant des communautés agricoles, ça représente toute la réaction contre une Athénes impérialiste et commerçante et commerciale. Dés lors c’est un mouvement anti démocratique mais très curieux, il est contre la démocratie Athénienne mais aussi contre l’impérialisme Athénien et la politique commerciale d’Athénes. Il essaie de reconstituer la Cité sur base de communautés agricoles. C’est déjà foutu, c’est déjà foutu au moment de Platon et d’Aristote, pardon, et d’Aristophane alors n’en parlons plus...

Soit sauver l’harmonie de l’âme, si l’on sauve l’harmonie de l’âme - voyez ce n’est plus la conformité, ce n’est plus l’accord avec la nature, c’est l’harmonie de l’âme, l’accord avec le monde. Ces deux thèmes profondément grecs : accord avec le monde, harmonie de l’âme, l’harmonie de l’âme, c’est beaucoup plus proche des néo-platoniciens. Plotin dit : »comme une corde tendue, comme la corde tendue d’une lyre se communique à des cordes jusque là immobiles ». Alors il dit cela Plotin ? l’harmonie de l’âme c’était déjà un grand thème du Phédon de Platon : comment sauver l’harmonie de l’âme, qui nous permettra de maintenir le temps dérivé, sous la direction du temps originaire, lequel Temps originaire mesurera le mouvement intensif de l’âme ? Cela ne se fera pas sans prières, ce n’est plus les travaux et les jours, c’est les mâtines et les prières, c’est comme ça qu’on dit ? - il faudra les mâtines, les vêpres et les prières, en d’autres termes ce n’est plus la vie rurale, c’est la vie monacale. Et la vie monacale a eu... et le problème de la vie monacale, a eu un rôle fondamental, fondamental entre le troisième siècle - les néo-platoniciens eux-mêmes ne sont pas exempts d’un tel mouvement - il y a des chapitres entiers, il y a tout un essai de Plotin sur la prière, en un sens absolument pas chrétien. Sur la prière, c’est à ce moment là que les grecs introduisent une notion de prière qui est complètement différente de la vieille prière aux dieux du polythéisme. Il y a comme on dit un « monachisme », un « monachisme néo-platonicien ». Comment faire ? tout en gardant une activité ici-bas bien sûr, mais se donner les conditions de sauver l’harmonie de l’âme, c’est-à-dire de sauver le temps comme nombre du mouvement intensif de l’âme. La vie monacale est l’autre, est un autre terme de l’alternative de salut. Seulement voilà, comme nous le savons bien par l’histoire, aussi bien la vie rurale que la vie monacale a engendré l’ennemi qu’elles étaient sensées combattre, qui s’engendrait aussi par d’autres moyens. Aussi bien les monastères que les agglomérations rurales ont engendré la ville - au point même que d’une certaine manière, l’agriculture est l’invention de la ville et pas des paysans du tout. L’agriculture va progresser que par mélange de germes, par formation de stocks, qui se faisaient précisément dans des agglomérations urbaines et constitution de grands marchés. Ce pour quoi, ce que la vie rurale prétendait conjurer d’un certain coté, elle le produisait d’un autre coté : la vie quotidienne, la banalité quotidienne du temps de la ville. Et la vie monacale chacun sait que, les monastères sont une des autres sources de la ville, la ville à toutes sortes de sources et que les monastères sont sources de villes nombreuses, la ville se constituant autour du monastère. Là aussi, là aussi, dans une vision de l’histoire extrêmement émouvante le monastère suscite l’ennemi qu’il souhaitait conjurer.

Qu’est ce que ça veut dire ça le temps de la ville ? La banalité quotidienne cesse d’être rythmée par les saisons et cesse d’être harmonisée par le monastère. Il y avait de la banalité quotidienne dans le travail du paysan dans la prière du moine, la banalité quotidienne est constante. Mais voilà, elle existait en tant que accordée au rythme des saisons, accordée à des rythmes de la nature ou harmonisée par les prières et les cultes. La ville fait le déchaînement et c’est pour ça que être philosophe, ça ne peut être que philosophe de la ville, maintenant ...c’est pour ça que les philosophes se perdent toujours dans les grands bois ... (Brouhaha !) Deleuze reprend : qu’est ce que je veux dire ? La ville c’est la banalité quotidienne déchaînée, c’est à dire le temps dérivé qui a perdu toute sa dépendance, autant par rapport au mouvement extensif du monde, que par rapport au mouvement intensif de l’âme. La ville est sans monde et sans âme ! Elle est la ville. Le temps dérivé monte, s’affirme pour lui-même, rompt toutes ses amarres. Il devient le seul Temps qui existe, il n’y a qu’un seul Temps, il n’y a plus de Temps originaire, le Temps sort de ses gonds. Qu’est ce que c’était que les gonds du Temps ? C’étaient, soit les positions privilégiées par lesquelles passaient le mobile, à savoir les points cardinaux, soit les instants privilégiés par lesquels passaient l’âme.

Le Temps sort de ses gonds ça veut dire il n’y a plus de Temps originaire, il n’y a plus qu’un temps dérivé. Dés lors le temps dérivé n’est pas un temps dérivé encore une fois, c’est le seul temps qui soit. Le temps de la banalité quotidienne, il n’y a pas d’autre temps que celui de la banalité quotidienne. Qui prend conscience de cela ? Celui qui prend conscience de cela, ceux qui prennent conscience de cela, c’est le mouvement de la Réforme, comme Max Weber l’a montré d’une manière définitive malgré les critiques qu’on lui a faîtes - critiques qui ne portaient jamais sur l’essentiel du texte de Weber, sur l’esprit du protestantisme et le capitalisme. C’est avec la Réforme que la question de la foi, et la question de l’activité quotidienne, de l’activité de la banalité quotidienne, de l’activité temporelle comme dit Luther, l’activité temporelle, c’est-à-dire la banalité quotidienne se joignent au point que profession, profession prend les deux sens que nous lui connaissons : profession de foi, activité professionnelle. Et que se fait cette union qui, tant pour les grecs que pour les catholiques, serait une union monstrueuse de l’activité temporelle, qui n’est plus soumise à un modèle, que ce modèle soit celui de l’accord rythmique ou celui de l’harmonie. Et Luther n’ira pas très loin dans cette voie pour des raisons que je n’ai pas le temps de développer, mais en revanche Calvin et les méthodistes iront très loin dans cette voie. Et l’on retrouvera un phénomène analogue à celui que Eric analysait chez Aristote, à savoir, ce temps de la banalité quotidienne qui prend toute son indépendance et qui fait qu’il se révèle générateur de quelque chose, générateur d’argent ; le temps c’est la forme sous laquelle l’argent produit de l’argent, usure, crédit, et l’usure et le crédit plaisent à Dieu.... Qu’est ce qu’il faudra en conclure ? Faudra en conclure juste que : les anomalies du mouvement tant extensif qu’intensif sont devenus telles, que le temps ne pouvait pas maintenir sa subordination au mouvement, ne pouvant pas maintenir sa subordination au mouvement, le temps dérivé se déchaînait. Le temps dérivé se déchaînant, le temps ne pouvait plus avoir un modèle, c’était lui qui allait devenir le modèle de toutes choses et modèle allait prendre un autre sens...

Donc les conséquences sont les suivantes... Le temps dérivé renverserait le Temps originaire, le seul temps deviendrait le temps de l’instant quelconque, première conséquence. Si bien que c’est le mouvement qui serait rapporté au temps c’est-à-dire à l’instant quelconque et non plus le temps au mouvement c’est-à-dire à l’instant privilégié. Voyez, les deux formules ne sont pas symétriques : quand le temps est rapporté au mouvement cela veut dire, qu’il est rapporté à la position privilégiée du mobile... Au contraire quand le mouvement est rapporté au temps, ça veut dire qu’il est rapporté au temps dérivé, c’est-à-dire qu’il est rapporté à l’instant quelconque, ce qui sera la révolution scientifique entre le quinzième et le dix septième siècle.

Deuxième conséquence : c’est toute la notion de vérité qui vacille. Car je ne reviens pas là-dessus, faut que vous-mêmes fassiez la soudure avec notre premier trimestre, ce temps néant, ce temps qui court au néant, ce temps de l’instant quelconque, ce temps dérivé, c’est précisément la puissance du faux...

Les modèles de vérité c’étaient les deux modèles qui soumettaient le temps, soit au mouvement extensif soit au mouvement intensif donc crise du concept de vérité !

Dernière conséquence : la banalité quotidienne de la vie urbaine va devenir le problème fondamental. Toutes les puissances du faux se déchaînent, la société rurale s’abîme, nos monastères s’écroulent. Nous sommes dans un nouvel élément de la pensée de la libre philosophie, qui se donne pour tâche, de penser cet extraordinaire jaillissement d’un temps linéaire, rapporté à l’instant quelconque temps de la banalité quotidienne, temps de la ville , temps urbain. Pour toutes ces raisons, la philosophie se trouvera devant la nécessité de construire des images-temps directes.... Et pour toutes ces raisons, le cinéma d’une toute autre manière, se trouvera avec ses problèmes à lui, se trouvera devant la nécessité lorsque les chaînes sensori-moteurs qui maintenaient une subordination du temps au mouvement se seront écroulées , lorsque les faux raccords se seront multipliés, lorsque toutes ces beautés du cinéma surgiront, c’est-à-dire après la guerre, le cinéma se trouvera devant la tâche de construire pour son compte des images-temps directes. Nous en sommes à ceci, quel est celui, quel est le philosophe qui a construit le premier l’image-temps directe ? C’est Kant que j’aurai souhaité faire aujourd’hui, je le ferai, à toute vitesse, à la rentrée et on reviendra, pour finir l’année aux images-temps directes au cinéma. Voilà je vous souhaite de très bonnes vacances... !