Sur le cinéma : Classifications des signes et du temps

Curso Vincennes - St Denis
Cours du 24/05/1983

Je suis sûr que c’est dans un western. Je suppose peut être, non je suis presque sûr que l’acteur est Steward. Je suppose vaguement que ça doit être un film de Anthony Mann. Et la scène qu’il me faut, si elle existe, parce qu’à la fin on dit bon.. la scène qu’il me faut c’est une scène qui commence assez classiquement comme dans beaucoup de western, c’est le cow-boy expérimenté qui apprend à tirer à un ptit gars. Euhhh, mais là, il y en a plein comme ça. Il lui apprend à tirer, je crois, et ce dont je suis alors presque sûr c’est que le dialogue - c’est le dialogue qui m’intéresse - c’est Steward, ou un autre à la rigueur, je ne sais pas - expliquant au ptit gars, il lui dit :" tu comprends, tu comprends mon gars, il s’agit pas du tout de tirer le premier, il s’agit pas du tout d’être le plus rapide, il s’agit d’imposer à l’autre une seconde de retard qui va le perdre". Il ne s’agit pas d’être le premier, il s’agit de forcer l’autre à être le second, il s’agit de forcer l’autre à être en retard. ça ne dit rien à personne ?

(Réponse d’une personne dans la salle)

Deleuze : C’est ça tout le monde me dit, alors vous pensez mon état à la fin, tout le monde me dit mais oui ça me dit quelque chose (rire dans la salle). Et je cherche parfois auprès de, de, de, de spécialistes et là je ne connais pas de spécialistes de westerns. Ca doit exister mais, je vous en supplie, cherchez ! (rire dans la salle). Non si ça vous vient pas tout de suite vous trouverez, c’est que ça vous dit rien.

Une personne de la salle parle : (on ne l’entend pas bien.) Puis Deleuze reprend : Je crois que c’est de Anthony Mann oui. Non rien. La personne reprend : C’est pas un film avec, tu dis c’est James Steward mais moi je me souviens d’un avec Brian Kit and, il est mort dernièrement le comédien.

Deleuze : Oui mais est-ce qu’il y a cette scène ?

La personne : il est dans une prison ou il va dans un prison quelque part tu vois dans le désert. Deleuze : Il lui apprend à tirer ? La personne :Oui, justement. C’est Brian kit...

Deleuze : On brûle.

La personne : ... et l’autre acteur c’est...

Deleuze : oui ça ça m’est égal oui, oui. Mais le titre du film ?

La personne : Euh je pense...

Deleuze : Ca je trouverais oui ça ça se trouve dans...

La personne : Parce que je connais trois ou quatre comédiens...

Deleuze : Comment qui s’appelle ton acteur ?

La personne : C’est Brian kit et l’autre il est mort, il a joué dans, vous savez les films qu’on avait fait à Hollywood avec, avec Yul Brynner. Non c’est pas ce film là, mais je suis sûr (on entend mal) comédien la.

Deleuze : Ouais, ouais.

La personne : Il est mort y’a deux, trois ans dans, dans ch’sais pas, le cancer.

Deleuze : Bah oui. (Rire de la salle).

La personne : (En riant) C’est pas drôle. Il apprend à tirer justement...

Deleuze : Oui mais...

La personne : Et puis après l’autre...

Deleuze : C’est pas apprendre à tirer, c’est cette phrase là qu’il me faut.

La personne : Lui apparemment il le dit, quelque chose...

Deleuze : Il le dit ça ?

La personne : (on entend pas bien).

Deleuze : Il semble. (Rire dans la salle). Ecoutez si quelqu’un d’entre vous trouve, à la réflexion, qu’il m’écrive, qu’il me télégraphie, (Rire dans la salle). C’est vraiment... bon. A qui c’est ça ? c’est à toi. Eh bah alors travaillons, puisque il y a rien d’autre à faire.

Alors donc j’en étais à cette histoire de la pensée comme jeu. Mais déjà présenter la pensée comme jeu est une chose choquante. Une chose choquante, et puis facile, et puis... Et pourtant on est bien forcé, c’est un mot commode à qui. Quoi ?

Une personne : C’était Steve McQueen à qui...

Deleuze : C’est McQueen !

La personne : à qui on apprend, c’est Brian kit l’apprend, tu vois.

Deleuze : Ok d’accord... (Court silence). Alors, oui bon, euh il s’agissait pour nous de dégager une lignée c’est à dire il s’agissait pas du tout de nous attacher à ce concept de jeu qui n’a pas grand intérêt, mais ce qui m’intéressais davantage c’était d’essayer de dégager une lignée de penseurs. Et encore une fois quand on dégage une lignée, c’est un peu comme en technologie, faut pas s’étonner que les représentants de cette lignée soient extrêmement différents. Encore une fois j’ai toujours bien de la peine, parce que ça met en question la nature même du concept en philosophie. J’ai toujours du chagrin, quand j’entends les gens dire : ho, les généralités ça veut rien dire, et puis généralement quand ils disent ça ils assènent d’autres généralités encore plus plates, alors il faut pas parler du romantisme, il faut pas parler de ceci, de cela, il faut pas parler du symbolisme.

Moi je crois au contraire qu’il faut parfaitement en parler si l’on construit des concepts consistants. Et je vous disais là on a un beau cas, parce que c’est une lignée qui est plutôt souterraine, qui, y a comme ça à la lettre des écoles, ou des tendances, appelons ça des tendances, ou des courants. Y a des courants évidents et puis il y a des courants souterrains. Soit parce qu’ils ont sauté d’un point à un autre, soit parce que ils bifurquent trop, et peut être qu’on peut construire un concept en fonction de ces courants. Je disais moi, faisons presque comme deux lignes, je faisais une histoire très très rapide. Tout d’un coup comme véritablement un coup de foudre - je dis un coup de foudre parce que à ma connaissance on peut toujours encore une fois trouver des précurseurs, mais à ma connaissance ça éclate vraiment - le pari, le pari de Pascal. Et ça éclate en effet, à un moment, et c’est l’expression philosophique qui correspond - c’est pas l’expression de - mais le pari de Pascal émerge en effet à un moment où se développe en Mathématiques, ce qu’on appelle à cette époque, le calcul des chances. Donc c’est pris dans tout un contexte.

Et puis je suis forcé de faire un grand saut. En réaction contre Hegel, c’est à dire au A n’est pas non-A, de la dialectique Hégélienne tel que on l’a commenté autrefois. Au A n’est pas non-A, réplique et il le présente comme une réplique, comme une espèce de réfutation de Hegel, répond le : "ou bien...ou bien" de Kierkegaard. Ce que Kierkegaard appelle "l’alternative".

Et puis au XIXème siècle, il y a un courant français, qui avait une très grande importance au XIXème siècle, et qui aujourd’hui est tout à fait tombé depuis longtemps, est tombé complètement dans l’oubli, sauf les noms, sauf un nom - mais c’est des gens qu’on ne lit plus. C’est la justice du sort vous savez ! On ne lit plus, il y en a qu’on lit encore, qui sont moins bien... Il y a une école très bizarre dont le fondateur, était et s’appelait Renouvier. Il a énormément écrit, il a agité son époque parce que c’était un philosophe d’à coté, c’était un philosophe non-universitaire. Et apparaît avec lui sur un mode athée - alors que je parlais du christianisme janséniste de Pascal, du réformisme de Kierkegaard - là surgit le thème d’un choix, le thème d’une liberté-choix.

Il y a toute une conception discontinue du temps, et Renouvier c’est quelqu’un de très très curieux il me semble, très intéressant. Et il avait un ami, ce Renouvier, ami alors que lui, on lit d’autant moins que on ne le trouve plus, et que ce sont des fragments posthumes qui ont été publiés de lui, et il ne connaît qu’une gloire indirecte - car il a servi, ça a été un des vagues modèles, d’un célèbre roman de Guillou, roman qui présente un professeur de philosophie qui n’arrive pas à écrire, et qui est pourvu d’immenses pieds sur lesquels il peut marcher avec de grandes difficultés. Et c’était Jules Lequier, L, E, Q, U, I, E, R, qui écrivait des choses bizarres sous forme de dialogues, dont l’inspiration Pascalienne est évidente. Et qui reprend avec son ami Renouvier athée, qui reprend à sa manière le thème de la liberté, d’une liberté-choix.

Et puis je disais il y a, il y a, il y a Sartre. Il y a Sartre qui va développer énormément dans "l’être et le néant" et dans les ouvrages de cette époque. L’idée d’une liberté choix, et bien plus d’un choix qu’il appelle "le choix existentiel". Alors, soit, et de notre point de vue, je voudrais, parce que c’est quand même une pensée très complexe, c’est un courant très complexe, qu’est ce qu’ils veulent dire avec leur histoire de pari, d’alternative, et de choix ? C’est ça ma question. Qu’est ce que devient la pensée là dedans, c’est à dire quelle figure prend la pensée à travers ces opérations ?

Puisque vous vous rappelez, que la figure précédente qu’on avait trouvée dans la dialectique ancienne, dans la dialectique moderne et dans l’expressionnisme, de trois manières différentes, c’était d’une certaine manière une pensée toujours posée comme lutte et combat. Ah bon c’est ça la pensée comme jeu là, c’est cette espèce de pensée choix, alternative, pari. Je procède là en numérotant, parce que il faut être sensible à.. j’essaie de dégager. Alors je pars du plus bas, du plus simple, et je dis : première remarque, première remarque sur ces auteurs et cette forme de pensée. De quoi s’agit-il à première vue ? Et bah à première vue il s’agit de classer. Il s’agit de classer, mais classer quoi ? Il s’agit de classer donc finalement ce qu’il y a à l’horizon du choix c’est, comme présupposé du choix, il y a un classement. Mais je dirais c’est un classement et pas une classification. Qu’elle serait la différence possible entre une classification et un classement ? Disons par exemple qu’une classification consiste à classer des choses à partir de ce qu’elles ont en commun. Le botaniste fait une classification, le zoologiste fait une classification, pourquoi ? Parce que il part des grandes familles, les divisent en grands genres, les subdivise en espèces etcetera. Une classification serait la division d’un quelque chose de commun.

Tout autre serait le classement. Classer c’est mettre en ordre des choses, qui dans "leur apparaître", je ne dis pas en apparence, qui dans leur apparaître non rien de commun. Ou en tout cas même si elles ont quelque chose de commun ce n’est pas en fonction de ce quelque chose de commun qu’elles seront classées. Je dis si j’arrive à mettre en ordre des choses qui en tant qu’elles apparaissent non rien de commun, à ce moment là je ne fais pas une classification, je fais un classement. C’est par commodité, c’est pour distinguer en effet ces deux cas que je distingue classification et classement.

Or je dirais, prenons alors, prenons des pages de Pascal. Ca saute aux yeux que constamment il nous propose des classements. Les "Pensées" de Pascal n’est ce pas vous le savez c’est un de ces livres, c’est un de ces livres mystères, puisque c’est un livre qui n’existe pas. Je veux dire c’est tout à fait l’équivalent de la volonté de puissance de, de Nietzsche c’est un livre projeté dont on ne saura jamais ce qu’il aurait été, c’est, bon des notes pour un livre, des notes pour un livre à venir - tellement à venir que, il viendra pas. C’est vrai ce qu’on voit dans les pensées de Pascal c’est à quel point Pascal s’amuse bon, et vraiment c’est une vraie joie, pour lui on sent que c’est ses moments de plaisir : faire des classements, au sens rigoureux que je viens d’essayer de donner à classement, c’est à dire mettre en ordre des choses, qui apparaissent comme n’ayant rien de commun. C’est à dire le classement c’est une classification qui ne précède, qui ne procède pas par genre et différence spécifique. Je peux dire que le plus grand classificateur de la pensée, a été Aristote, parce qu’il fondait précisément - et je crois que c’est Aristote qui fonde le concept de classification. Parce qu’il montre comment les genres sont spécifiés par une différence, et en sorte il fait de la classification.

Pascal on se dit, bah non on est dans une toute autre atmosphère, c’est un classement. Alors je donne quelques exemples comme ceux ci, pour que vous entriez dans l’atmosphère de cette pensée, je voudrais vraiment que vous les relisiez ou que vous les lisiez les pensées de, et tient parfois ça à l’air de rien c’est, c’est comme Nietzsche, souvent ça à l’air de rien. Voilà. "Il n’y a que trois sortes de personnes. Il n’y a que trois sortes de personnes, les unes qui servent Dieu, l’ayant trouvé, les autres qui s’emploient à le chercher ne l’ayant pas trouvé, les autres qui vivent sans le chercher ni l’avoir trouvé." Donc voyez y a ceux qui ont trouvé Dieu, mettons en gros les hommes de la foi. A l’autre bout ceux qui vivent sans Le chercher ni L’avoir trouvé, mettons les indifférents ou les athées. Entre les deux, les autres qui s’emploient à Le chercher et L’ont pas trouvé. Les premiers, je reprends le texte, les premiers, ceux qui l’ont trouvé Dieu, ceux qui ont trouvés Dieu, les premiers sont raisonnables et heureux. Les derniers, les athées, les indifférents ceux qui vivent sans Le chercher ni L’avoir trouvé. Les derniers sont fous et malheureux. Ceux du milieu, ceux qui Le cherchent et ne L’ont pas trouvé. Ceux du milieu sont malheureux et raisonnables.

Cela dit voilà comment, et on va voir d’autres exemples tout à l’heure, voilà comment Pascal pense. Vous me direz bon qu’est ce ça veut dire ? Pour moi ça donne complètement raison à, à encore une fois à Michel Serres, lorsque Serres dit : "mais Pascal ça n’a rien à voir avec une pensée dialectique", et si il le dit, et si c’est important qu’il le dise c’est précisément parce que beaucoup de gens font de Pascal, une espèce de précurseur de la dialectique moderne, une espèce de pré Hegel. Et que beaucoup de marxistes - et que tous les marxistes mêmes, à ma connaissance qui se sont affrontés à Pascal - ça a été pour en faire une espèce de dialecticien. Or vous sentez que cette pensée c’est une pensée, au contraire, telle que je viens de la lire du ou bien...ou bien, qui n’a strictement rien à voir avec de la dialectique. Urgence de resserrer là les concepts, tantôt il faut les élargir, tantôt il faut les resserrer, c’est pas, on est dans une atmosphère toute autre, dans une manière de pensée toute autre. Car il fait un classement.

Et voyez que ce classement produit quoi ? Alors. Ce classement qui n’est pas une classification pui,sque il ne présuppose rien de commun entre les trois. Il y a trois sortes de personnes, il n’y en a que trois. Il n’y a que trois sortes de personnes. Qu’est ce qu’elles ont en commun ? Premier cas, raisonnable et heureux. Deuxième cas, raisonnable et malheureux. Troisième cas, non raisonnable et malheureux.

Qu’est ce que c’est que ça ? Je dis juste pour en finir avec ce premier, ces premières remarques formelles, c’est une, on appellera ça, une alternance. C’est une alternance, A, B, C.

Quoi ?

Question dans la salle : Tu peux passer au secrétariat après ton cours ?

Deleuze : D’accord, d’accord. Tu t’en vas à quelle heure ?

Intervention : Avant midi.

Deleuze : D’accord.

Intervention : A tout à l’heure.

Deleuze : Euh, bon, deuxième cas, un texte là comme ça, pour heu, heu, il y a un texte de Pascal qui est très intéressant, comme ça, mais on en trouve plein dans ça... Il pose la question qui n’a l’air de rien, est ce qu’il convient d’honorer les personnes de grande naissance ? Est ce qu’il convient d’honorer les personnes de grande naissance ? Bon. Alors voilà le développement du texte que je résume. Le peuple les honore parce qu’il en a peur.

Petit a, le peuple les honore parce qu’il en a peur.

Petit b, les demi-habiles, les demi-habiles les méprisent parce qu’ils disent ; "on me la fait pas". C’est des hommes comme les autres.

Petit c, les habiles les honorent, parce qu’ils disent :" ils ont le pouvoir, faut en tirer quelque chose."

Petit d, les dévots les méprisent au nom de la justice de Dieu.

Petit e, les Chrétiens les honorent au nom de la charité.

Pensée extrêmement intéressante, moins par son contenu que par sa forme. Là on voit typiquement le procédé du classement. Mettre en ordre indépendamment de tout genre commun, mettre en ordre sous la forme ou les espèces d’une alternance. L’alternance là est encore bien marquée puisque :

Petit a le peuple honore, pour des raisons différentes, pour des raisons différentes qui n’ont rien de commun. Petit a le peuple honore.

Petit b, les demi-habiles, heu, méprisent.

Petit c, les habiles honorent.

Petit d, les dévots méprisent.

Petit e, les vrais Chrétiens honorent.

C’est une alternance de honorer, mépriser, honorer, mépriser, honorer, mépriser. Et chaque cas est différent. Exemple plus sérieux parce que, qu’est ce que fait - et là je vais très vite puisque j’en ai parlé précédemment - qu’est ce que fait Pascal en tant que mathématicien ou physicien ? Il fait des classements, je vous ferais remarquer que la géométrie euclidienne, elle, fait beaucoup plus- je peux pas dire qu’elle ne fasse que ça - mais que la géométrie euclidienne fait des classifications. Et qu’il est bien dit pour Euclide qu’il est bon de procéder en géométrie par genre et différence spécifique. A ce moment là on fera une classification des figures. On verra celles qui ont quelque chose de commun, et par exemple les courbes, et l’on prendra les courbes comme genre, et on fera jouer les différences spécifiques pour obtenir les différentes espèces de courbes. On fera une classification.

Pascal ne fait pas de classifications, Pascal fait, grâce à des méthodes extraordinairement nouvelles en mathématiques, Pascal fait un classement. Ce classement repose sur quoi ? on va trouver le point de vue, là on avance un peu, mais on l’a vu la dernière fois, là on le voit mieux, on le retrouve mieux, semble à un niveau plus profond, trouver le point de vue sous lequel des hétérogènes se laissent ranger. Trouver le point de vue sous lequel des hétérogènes se laissent ranger. Ce qui est tout à fait différent de la méthode de classification, qui consiste à trouver - donc trouver le point de vue subjectif - point de vue ça renvoie à sujet.

Trouver le point de vue c’est à dire le point de vue subjectif sous lequel des choses hétérogènes se laissent ranger, au lieu de trouver le point objectif, c’est à dire le genre, qui en se divisant, me donne une classification des choses en fonction de leur homogénéité. Et je disais qu’est ce que c’est que la grande théorie au XVIIème siècle des sections coniques ? Qu’est ce qu’ils apportent de nouveaux par rapport aux mathématiques grecques qui connaissaient déjà les sections coniques ? C’est exactement ça. Dans un très court traité des sections coniques, Pascal va affirmer précisément, quoi ? Et ben un classement et pas une classification. Un classement d’un certain nombre de courbes saisies, appréhendées comme n’ayant rien de commun les unes avec les autres. Elles n’ont rien de commun les unes avec les autres c’est à dire elles n’ont pas genre commun, dès lors ce qui assurera le classement c’est trouver "un point de vue", d’après lequel elles se laissent ranger, et se laisser (changement de bande...).

Le point de vue c’est ce qui me laisse ranger les choses hétérogènes, les choses incommensurables entre elles et qui me les laisse ranger en fonction de ceci que de ce point de vue apparaît une alternance entre ces choses. Et c’est un procédé de pensée ça, il me semble, qui est pas, qui est pas inventorié, qui est pas classique, c’est ce que j’appellerais "une typologie".

Alors vous aurez et vous sentez qu’on est en plein dans notre sujet. Ce rangement des choses en fonction d’un point de vue qui établit entre elles, qui introduit entre elles une alternance, c’est le ou bien... ou bien. C’est déjà le ou bien/ou bien on est en plein dans notre sujet. Hélas ! ce n’est qu’un point de départ. Et je disais, bon en effet, les sections coniques, vous voyez votre cône, vous voyez le sommet de votre cône et puis les coupes, toutes les coupes que vous pouvez faire. Or les coupes que vous pouvez faire, vont vous donner - supposons pour rester aux cas les plus simples, c’est pas, il y en a d’autres encore - mais pour rester aux cas les plus simples, ça va vous donnez, un cercle lorsque - vous vous rappelez j’ai pas besoin de recommencer - lorsque la coupe est parallèle à la base du cône, un cercle.

Lorsque la coupe est de biais, une ellipse. Lorsque la coupe, coupe en fait ces deux cônes, comme ça, vous voyez qui sont, heu, lorsque la coupe est verticale ça va vous donner une hyperbole. Lorsque la coupe est de biais, heu, de biais verticale, ça va vous donner une parabole.

Bon pour en rester aux cas les plus simples, vous avez quatre courbes. Est ce que, le point de vue c’est quoi ? Voyez Pascal ne cherche pas un genre commun à ces quatre courbes, il cherche un point de vue sous lequel ces quatre courbes se laissent ranger.

Ce point de vue, c’est l’oeil mis au sommet du cône. Bon. Comment le ranger ? Bah vous remarquez que, d’après la nature des coupes certaines courbes sont fermées, certaines courbes sont ouvertes. Cercle, ellipse sont fermés, hyperbole, parabole sont ouvertes. Vous pouvez remarquer autre chose, certaines coupes sont rectilignes, celles qui donnent le cercle parallèle à la base du cône, ou bien celles qui donnent l’hyperbole cette fois ci en horizontale coupant les deux cônes. D’autres coupes sont de biais, bon. Ca vous donnera l’alternance suivante, par exemple : vous pouvez établir l’alternance cercle fermé/ coupe rectiligne, hyperbole, ouvert/ coupe rectiligne, ellipse, fermé/ coupe de biais, parabole, ouvert/ coupe de biais. Formidable, il a mis une alternance, c’est à dire il a rangé les courbes sans passer par un genre commun. Il a rangé de purs hétérogènes en introduisant une alternance entre les cas.

Voilà que l’alternance des cas se substitue à la définition ou à la classification par genre et espèce. Remarquez qu’on retrouve ce problème partout hein, parce que là aussi c’est des choix de pensées qui sont très, très importants. Je pense au Droit. En Droit, le code procède très souvent de manière aristotélicienne, c’est à dire par classification des délits. Un genre aura ses différences, alors vous aurez par exemple une première différence : meurtre, assassinat : avec préméditation ; sans préméditation ; en légitime défense.

Vous pouvez constituer des genres juridiques avec les différenciations, et les spécifications qui vous donnent des espèces.

En somme vous direz que le code est une classification que le code pénal est une classification des délits. Et c’est un tout autre procédé sentez que vous pensez pas du tout de la même manière, et que on est constitué un, qu’on a des natures de pensées assez alors, y a des gens qui arrive pas à penser sous telle ou telle forme c’est très curieux. Mais heu, et je crois même qu’il y a tout un domaine du Droit qui finalement est le seul domaine vraiment intéressant et créateur du Droit, à savoir la jurisprudence qui est l’étude des cas. L’étude des cas qui font problèmes, c’est à dire là où la classification des cas qui ne répondent pas à la classification. Et là vous mettrez les alternances, vous allez retrouver le problème de la jurisprudence ce sera : trouver le point de vue subjectif, c’est pour ça que le législateur a deux sens complètement différents, le législateur c’est tantôt celui qui assigne les grands genres, c’est le législateur Aristotélicien si j’ose dire, et puis il y a le législateur Pascalien, l’homme de la jurisprudence, à vrai dire il n’est pas législateur puisqu’il ne fait pas la Loi, il la fait bouger lui, et il établira des alternances entre cas.

Je reprends un exemple qui m’est cher parce que ça fait tout comprendre de la jurisprudence, si vous, si vous me permettez. Heu, cet exemple il m’a, il m’a laissé rêveur longtemps, et c’est pour vous montrer que, que c’est vraiment une méthode, cette méthode que j’essaie, cette méthode de classement. Voyez j’ai trois notions pour le moment, pour définir cette méthode. Point de vue subjectif, qui permet,( deuxième caractère), qui permet de classer des hétérogènes sans passer par un genre commun. Troisième caractère, ce classement consistant en une alternance des cas.

Je dis que c’est très important ça, cette pensée là. Et comprenez que les gens qui pensent de cette manière bah ils ont bien des chances de pas ce comprendre avec ceux qui pensent de l’autre manière d’un genre différent ou avec ceux qui pensent dialectiquement. Qui aura des confusions et que je crois que les gens discutent tout le temps, si les gens sont pas d’accord c’est parce que, bah oui, c’est vraiment pas les mêmes problèmes qui posent, vous avez pas du tout les mêmes types de problèmes, dans un cas ou dans l’autre.

Je prends l’exemple suivant : vous prenez un taxi, vous fumez, le taxi vous dit c’est interdit de fumer, vous lui dites :" je vais te faire un procès toi, je vais te faire un procès". Alors ça veut dire quoi lui faire un procès au chauffeur de taxi qui vous a défendu de fumer ? Vous faites le procès, c’est un cas de jurisprudence - ça ne l’est plus maintenant. Mais il y a, parce que la question est réglée - mais y a eu un temps que je me place dans l’instant la question n’était pas réglée. Heu, il n’y avait pas de règlement administratif. Là y a un règlement le taxi a le droit d’interdire de fumer.

Mais au nom de quoi juridiquement ? c’est très intéressant le Droit. Et ben voilà, et ben voilà pourquoi. Je fais le procès du temps où c’était possible, et moi je dis en tant que plaignant, lorsque je prends un taxi, je fais avec le taxi un contrat de location. Je loue le taxi, l’opération par laquelle je prends un taxi est une, juridiquement, est une location. Par définition le locataire a le droit d’user, non pas de détruire mais d’user, et d’abuser de sa location, un propriétaire ne peut pas m’interdire de fumer dans les locaux qu’il me loue. J’ai donc le droit de fumer dans le taxi.

Petit a, j’ai fait un petit a. L’avocat du chauffeur répond pas du tout. Pas du tout c’est pas ça. Le taxi ne peut pas être assimilé à un local d’habitation privé. Quand vous prenez un taxi vous ne faites pas un contrat de location, car le taxi est un service public. En tant que service public le taxi a parfaitement le droit - et c’est le privilège du service public - d’interdire de fumer, bon.

Petit b, nous vla bien. Petit a : taxi local loué, habitation, habitation mobile louée. Petit b service public non loué.

Petit c, d’accord que je dis, mais même avec un service public, est ce que je ne passe pas un contrat ? En effet quand vous prenez l’autobus il y a un rapport contractuel, qui intervient ou lorsque vous prenez le métro, c’est au nom de ce rapport contractuel que si vous vous cassez la jambe dans le métro, le métro est responsable. Il y a donc un rapport contractuel avec. Alors d’accord le taxi est un service public, mais est ce que en lui, comme service public le rapport contractuel ne l’emporte pas sur l’autre ? Quel est l’autre rapport compris dans le service public ?

Petit d, l’autre rapport compris dans le service public, c’est un rapport statutaire, le statut s’opposant au contrat. Et c’est parce que le service public n’entretient pas seulement un rapport contractuel avec ses clients mais embrasse et définit un rapport statutaire, par rapport à sa fonction, qu’il peut interdire de fumer.

Bon, voilà que mes cas se développent à l’infini. Offense à la pudeur. Offense à la pudeur. Petit a, s’intéressait beaucoup au droit, Leibniz aussi s’intéressait au droit, et il ne disposait pas d’exemple aussi moderne.

Offense à la pudeur, bon.

Petit a, ça consiste à faire offense à la pudeur des autres. Tout d’un coup je me mets tout nu, bah offense à la pudeur quoi, la pudeur des autres, il semble qu’il n’y ait pas de problème. Seulement j’interprète comme ça, l’article de la loi sur l’offense à la pudeur, si j’interprète comme ça j’ai pas moyen de coincer un certain nombre de gens. Par exemple je ne peux pas dire qu’il y ait offense à la pudeur lorsqu’il y a un spectacle pornographique devant des personnes qui ont payé pour. Alors c’est embêtant si je veux les coincer en tant que juriste, comment les coincer ? Ah mais c’est que alors là, il faut que je cherche parce que c’est très complexe. Il faut que j’ai l’idée tortueuse suivante que : offense à la pudeur, ne renvoie pas à un petit a seulement qui serait offense à la pudeur de ceux qui voient, mais que offense à la pudeur peut renvoyer à l’offense à la pudeur de celui qui fait l’acte délictueux. Il offense à "sa propre" pudeur, à ce moment là cric crac je peux le coincer. Et coincer les spectateurs dès lors, puisqu’ils ont participé à cette opération par laquelle quelqu’un offensait à sa propre pudeur à lui. Là aussi j’ai fait un classement, j’ai fait des alternances. Voyez mon alternance taxi, habitation louée, service public, relation contractuelle dans le service public, relation statutaire dans le service public. J’ai rangé, c’est ça ranger. C’est ça classer par opposition à classifier.

Bien, dès lors terminons cette dernière remarque dans un tout autre domaine puisqu’on essaie d’accumuler des objets. Dans le domaine de l’image, de l’image. De l’image et de l’esthétique, cette fois-ci. On a vu des exemples de toutes sortes, hein. Il faut en effet que vous arriviez à prendre vos exemples un peu partout pour euh, pour constituer un concept.

Alors nous on a vu les exemples scientifiques, moraux, juridiques, bon passons à des exemples esthétiques. Il y a un certain nombre d’artistes. Soit, des peintres, soit des auteurs de cinéma, qui nous mettent en présence de ce qui ressemble bien à des alternances. Notamment alternance de blanc et de noir. Dans le cas du cinéma non couleur, alternance de blanc et de noir et qui sont célèbres par leur art de ces alternances. Soit par la succession des images, soit dans la même image. A la limite ils atteignent un très haut stade esthétique qui ressemble singulièrement à une sorte de pavage : un carré blanc, un carré noir, un carré blanc, un carré noir, tiens ! Est ce que le pavage ne saurait pas précisément un des cas typiques, de ce dont nous parlons depuis le début ?

Qui c’est ces auteurs qui savent faire alterner si bien, si profondément le noir et le blanc ? Ah c’est Dreyer, célèbres sont les scènes de Dreyer, où l’alternance du noir et du blanc extrêmement savante, avec par exemple, des silhouettes verticales noires qui flanquent un lit horizontal blanc. Des alternances parfois beaucoup plus complexes qui se font vraiment par tranches. Ou bien alternance d’une image à une autre, les exemples de Dreyer, pas dans "Jeanne d’arc", on verra pourquoi, on aura peut être l’occasion, parce que c’est un film pratiquement blanc. Mais quand il procède pas avec du blanc pur, il procède par des alternances de blanc, de noir, et d’ombre. Après tout est ce que ça ne fait pas écho avec les trois personnes de Pascal ?

Le blanc, mettons, sûrement ça fait pas, ça correspond pas oui, on peut pas dire le blanc c’est l’ordre de la vertu ; le noir c’est l’ordre du mal ; le gris c’est l’ordre de l’incertitude.

Y a au moins un film de Dreyer où il joue des gris avec génie, c’est "Vampyr", dont le héros est précisément l’ordre de l’incertitude. Dans "Ordet" ou dans "dies irae" les alternances de blanc et de noir sont célèbres. Chez Bresson sous une tout autre forme, parce que chez Bresson, chez Dreyer y a une tendance tout à fait, il y a une tendance euh, il y a une tendance comme "scandinave" au pavage. Chez Bresson c’est plus du tout un "pavage", mais les alternances de blanc et de noir, notamment dans "le journal d’un curé de campagne", intègrent, ils sont considérés comme une espèce de sommet de l’art de la lumière chez Bresson.

Bon qu’est ce que j’en tire là ? Déjà quelque chose en peinture, pensez aux grands peintres du blanc et du noir, bon et ben, qu’est ce que, qu’est ce qu’il y a d’intéressant pour nous là dedans ? Voilà c’est que précédemment, et si je reprends un thème qu’on a développé l’année dernière et retrouvé cette année. Je disais il y a toutes sortes aussi bien au cinéma qu’en peinture, il y a toutes sortes d’artistes pour qui le problème fondamental c’est quoi ? C’est le problème d’une lutte, d’un combat de la lumière et des ténèbres. L’ombre traduisant les moments de ce combat. Violent combat de la lumière et des ténèbres, ou si vous préférez de la lumière et du noir. Et ça c’est vraiment la base de l’expressionnisme et la lumière expressionniste.

J’en retire deux choses quand à l’expressionnisme, quand à cette tendance, opposition de la lumière et des ténèbres et ce qui en découle, combat entre les deux. Premier caractère, la lumière a à faire avec son opposé, le noir, le noir des ténèbres. Deuxième proposition, dès lors il y a un combat de la lumière et des ténèbres, je dirais que l’expressionnisme est strictement inséparable de cette conception de la lumière.

Et l’année dernière j’essayais de former alors une notion qui était celle que j’appelais abstraction lyrique. Et que j’avais définit d’une première façon et que maintenant alors on a fait un progrès, je suis plus capable de le définir de deux façons.

Première façon de ce que j’appelle "l’abstraction lyrique", là, c’est ceux pour qui la lumière n’a pas du tout à faire avec le noir, avec les ténèbres. Que le vrai problème de la lumière pour eux, c’est un problème très second. Pour eux le vrai mystère de la lumière est, le vrai problème de la lumière c’est son rapport avec le blanc. Ils disaient que c’est par là, que eux mêmes, quand ils disaient par là par exemple qu’un auteur comme Steinberg est le contraire d’un expressionniste, son affaire c’est le problème de la lumière dans ses rapports avec le blanc.

Seconde proposition, bien sûr ça n’empêche pas qu’il y ait chez eux des noirs, et qu’il y ait chez eux de l’ombre. Et oui seulement ça ne sera jamais sous la forme d’un combat. Le second principe de l’abstraction lyrique, le premier étant la lumière a fondamentalement à faire avec le blanc ; le second principe de l’abstraction lyrique se sera : le blanc, le noir et le gris, n’entre jamais dans un combat mais dans une alternance. Et peindre ou construire une image ce sera : faire alterner le blanc, le noir et le gris. Ce sera une alternance.

Bon, voilà mon premier point. Plus on va lentement mieux que ce sera, parce que, on tient comme même un concept alternance, remarquez que je suis loin vous sentez tous que ce à quoi je veux en venir c’est à l’alternative. Mais l’alternative, accordez moi je me la donne pas du tout. Il faut vraiment que je la construise par un cheminement, pour le moment j’ai tout au plus l’alternance, une fois dit que l’alternance, je suis capable de la définir, comme étant : le classement par différence avec la classification. Et comme impliquant un point de vue subjectif d’après lequel je peux ranger des choses hétérogènes. Le blanc, le noir, le gris ne seront plus saisis comme en des rapports d’oppositions, ce seront des choses hétérogènes que je classe, et que je classe en les faisant alterner. Il n’y aura, vous sentez déjà, il n’y aura aucune "lutte" entre le blanc, le noir et le gris, il y aura tout au plus et au mieux, un choix à faire.

Que vais je mettre là ? Dans quel cas du blanc ? Dans quel cas du noir ? Dans quel cas du gris ?

Voilà notre problème, c’était donc ça ma première remarque. Voilà ce que c’est le point de départ d’une typologie. Ce qui m’importe c’est que vous reteniez cette différence entre classification/classement. Je dirais Pascal ne fait jamais de classification il fait des classements, et faire des classements est une activité tout à fait nouvelle par rapport, classer c’est tout à fait nouveau par rapport à classifier. Bon c’est vu ça, pas de problème, tout va bien. Personne prend la parole : Est ce que l’exemple là du blanc, à propos du blanc et du noir est ce qu’on ne le trouve pas dans Malevitch. Le carré blanc sur fond blanc, le carré noir sur fond...

Deleuze : Si bien sûr, bien sûr oh oui, oh oui, on le trouve chez Malevitch, on le trouve en peinture, on le trouve, où on le trouverait alors, on le trouverait à un point très haut chez, chez les Japonais je crois, je ne sais pas. Oui ! il y a toute une histoire hein, on le trouve chez Gaston Joxe, ouais, ouais, ouais, et je crois qu’on le trouverait avant, moi ce qui m’intéresserait c’est dans la peinture classique là, les alternances de blanc et de noir, et, et la lumière qui est pensée par rapport au blanc, on la trouverait, qui n’est plus du tout pensé par rapport,..c’est même assez tardivement faut dire que ce qui serait nouveau là, heu, dans la peinture peut être que ce qui a été nouveau ça était de penser la lumière directement par rapport au noir. Elle a été beaucoup plus tôt, elle a été beaucoup plus tôt pensée par rapport au blanc, même techniquement pas seulement pensée mais c’est aussi une question des enduits tout ça, heu, la lumière pensée directement par rapport aux ténèbres et par rapport au noir c’est, c’est, je sais pas, c’est le Caravage, c’est euh peut être.

Deuxième remarque, oui c’est très dur parce que les enduits, les enduits sombres, tout dépend de comment vous enduisez votre toile. Les enduits sombres, je crois que c’est très tardif, XVIIème hein.(Une personne dans la salle parle, mais on ne l’entend pas bien) C’est ce qu’on appelle la préparation rouge, mais rouge brun, rouge brun ben oui, avant on enduit à quoi, avec de la craie ou je ne sais pas quoi, du lait, de c’est quoi (réponse dans la salle que l’on entend pas), c’est blanc, c’est à dire le premier problème de cet enduit, quoi que ce soit qui le recouvre c’est le rapport de la lumière avec le blanc. Je veux dire c’est même sous le tableau que ça se pose, c’est pas, c’est pas dans le tableau seulement, tout comme y a sûrement là en cinéma des problèmes de pellicule heu, qui interviennent dans les noirs et blancs.

Bon, deuxième remarque. Alors on a donc une typologie, ce rangement par alternance, et c’est une typologie de quoi ? Elle porte sur quoi la typologie ? Je prends les sections coniques. Est ce que mon rangement, ma typologie porte vraiment sur les figures ? Et ben non, parce que c’est très joli, dans la classification, la classification elle, elle porte sur des figures, et des figures définies par leur essence. L’essence d’une figure ce sera son genre plus sa différence spécifique. Je peux dire, la classification porte sur des figures comme essence.

Et en effet classifier c’est mettre en ordre les essences. Hein, tandis que mon histoire des sections coniques selon Pascal, quand il classe cercle, hyperbole, ellipse, parabole, est ce qu’il classe des figures définies par leur essence ? Non, non, non, non, et non. Pourquoi y a aucun genre, aucun différent, aucune différence spécifique ? Il a donc pas des, à la lettre, il classe pas, allons jusqu’au bout, non seulement il fallait un point de vue subjectif pour faire le rangement dont je parle, mais ce qui est rangé c’est pas des objets. C’est pas des objets définissables par une essence, c’est pas des choses définissables par une essence. Qu’est ce qui est rangé dans le rangement Pascalien des sections coniques ?

Bah ah c’est une seconde remarque infiniment précieuse, ce qui est rangé c’est des modes d’existence. De quoi ? Mode d’existence du cône sur un plan de projection. Le cercle c’est la manière dont le cône existe sur le plan de projection lorsque ce plan le coupe, suivant une parallèle à la base. Evident. L’ellipse c’est un autre mode d’existence du cône sur un autre plan de projection, etc.

Je dis, je n’ai pas - en atteignant au point de vue subjectif, je n’ai pas rangé des essences car pour ranger les essences faut être platonicien ou aristotélicien, on en sort pas - c’est pour ça qu’il n’y a rien à leur objecter. Mais simplement quand j’emploie non pas des classifications, mais des classements c’est que je me propose autre chose. Je me propose de ranger des modes d’existence. Les sections coniques sont autant de modes d’existences du cône sur le plan de projection, voilà.

Je reprends les textes de Pascal, lorsqu’il se demande : "les hommes d’illustre naissance sont ils méprisables ou honorables ?" Il range, il range quoi ? quand il parle : le peuple, les demi-habiles, les habiles, les dévots, les vrais chrétiens, il s’agit de modes d’existences par rapport aux gens illustres. Ca désigne des modes d’existence. Et les trois cas par rapport à Dieu : celui qui a trouvé Dieu, il est, nous dit-il, heureux et raisonnable, celui qui le cherche pas, il est malheureux et fou, celui qui le cherche et le trouve pas, il est raisonnable et malheureux. Mais on pourrait s’y laisser prendre, c’est pas genres et différences spécifiques, il est en train de définir trois modes d’existence de l’homme par rapport à Dieu.

Je reprends mon exemple de Proust. Est ce que je vais aimer : c’est-y Albertine, que je vais aimer ? Ou bien c’est-y Andrée ? ou c’est-y Giselle ? Ce que je range, c’est pas Albertine, Giselle, Andrée, et tout le groupe des jeunes filles, tout y passe - je ne sais plus combien elles sont - mais euh, tout y passe, elles sont là, elles sont rangées dans mon esprit. Mais l’alternance c’est quoi ? le rangement c’est quoi ? jamais le narrateur oserait ranger des jeunes filles. En revanche ce qu’il est parfaitement en droit de ranger, c’est les modes d’existences qu’il aurait à supposer que, il soit amoureux : celle-ci, plutôt que de celle-là, plutôt que de celle-là, et celle-là, plutôt que de celle-ci. Il peut dire : "ah oui celle-ci", et il peut tomber sur le pire mais elle fait partie du rangement, "avec celle-ci je suis sûr d’échouer", c’est à dire "je peux être amoureux d’elle, elle, elle ne le sera pas de moi". Bah c’est celle-là que je vais prendre, c’est celle-ci, c’est celle-ci, c’est celle-ci, pourtant je sais d’avance qu’elle m’aimera pas. C’est à dire je m’offre un amour malheureux. Bon si j’ai bien fait mon rangement c’est très légitime, il y a pas de loi, je pense que bon, je m’offre un amour malheureux. Bon, il est bien connu qu’il y a des gens qui passent leur vie à s’offrir des amours malheureuses (rire de la salle). On arrive pas à croire qui ne le savent pas, ce qui va nous faire progresser vers des choses bien, bon. De tout manière qu’est ce que on est en train de passer, on est en train de changer notre concept. L’alternance des cas renvoie en fait, à des alternatives entre modes d’existences.

En d’autres termes, le point de vue subjectif c’est à dire le choix, le point de vue subjectif ou le choix se fait - non pas entre des choses parce que les choses renvoient à des essences, qui elles mêmes sont justifiables d’une classification - ne renvoit ni à des choses, ni à des termes - le point de vue subjectif, c’est à dire le choix porte sur des modes d’existences, et des modes d’existences de quoi ? Evidemment le choix porte sur des modes d’existences de celui qui choisit.

Vous me direz : faut pas exagérer, pas dans le cas des sections coniques ! Si !...Puisque l’œil, puisque l’œil abstrait s’est strictement identifié au sommet du cône, à partir duquel, le cône apparaît sous telle ou telle forme, en fonction d’un plan de projection. Voilà que le choix est déterminé comme l’acte le plus profond de la subjectivité, mais qui consiste à porter sur les modes d’existence du subjectif choisi.

Choisir, c’est choisir entre des modes d’existence. Et ce qui était rangé, et l’on comprend pourquoi dès lors, c’était ainsi rangé, sans possibilité d’assigner un genre commun. Parce que le genre commun et sa différenciation règlent les essences, tandis que là il s’agissait de ranger des modes d’existence et non pas des essences. Moi qui choisis, je ne choisis jamais qu’entre des modes d’existence possibles qui sont "mes" modes d’existence.

Voilà pourquoi tous les auteurs dont je parle, dès le niveau de cette seconde remarque, buteront sur - pas buteront - enregistreront, le résultat qui est inévitable - si vous avez suivi tous nos détours. qui est inévitable, à savoir, ce qu’ils leur faut alors c’est une théorie et une pratique des modes d’existence. Et ce sera la théorie des modes d’existence de Pascal qu’on va voir plus tard. Et ce sera la grande théorie Kierkegaardienne de ce qu’il appelle les "stades d’existence", avec la distinction de trois stades : le stade esthétique, le stade éthique et le stade religieux. Et ce sera, chez Sartre, la distinction de deux modes d’existence fondamentaux : l’authentique et l’inauthentique.

Pour le moment, on a pas le droit de mettre quoi que ce soit de péjoratif dans un de ces modes d’existence...hein on n’a aucune raison de dire : l’un vaut mieux que l’autre. Je dis juste : je suis en train de passer de l’alternance des cas à l’alternative des modes d’existence. C’est le « ou bien ou bien ». Je vis dans le régime du « ou bien ou bien », et exister, c’est choisir un mode d’existence. Exister et la formule de l’existence, c’est « ou bien ou bien ». Et ça veut dire ranger. Et ça veut dire classer.

D’où l’idée que toute cette pensée, quand on essaye de la définir, tout ce courant de pensée, le plus commode sera de l’appeler existentialisme. Le choix est existentiel puisqu’il porte sur des modes d’existence. D’où, à la libération, le succès de ce mot, et la manière dont Kierkegaard fut présenté comme l’ancêtre de l’existentialisme ; Sartre comme le créateur d’un existentialisme athée, pendant que très vite Heidegger qui n’avait rien à voir avec cette forme de pensée - le disait lui-même et s’excluait par soi d’un (coupure de la bande)

Parce que par définition, comment voulez vous que Sartre comprenne Heidegger ? J’veux dire, faut pas être plus bête que permis," je ne peux comprendre quelqu’un que de son propre point de vue. Si j’ai quelque chose à dire j’ai un autre point de vue. Dès lors, c’est pas que Sartre contredise Heidegger et ne le comprenne pas. C’est que Sartre parle de son propre point de vue de Heidegger, il parle de Heidegger de son propre point de vue à lui Sartre. Du point de vue de Heidegger ça ne peut être qu’un contresens, c’est évident. Et c’est pas la première fois que ça se passe.

Kant critique Descartes. Kant, ne critique pas Descartes du point de vue de Descartes. Ce serait idiot ! Ce serait supposer, encore une fois, que Descartes s’est trompé, de son propre point de vue et que moi, je sais mieux que Descartes quel est le point de vue de Descartes. Faut pas pousser quand même ! Lorsque Kant critique Descartes ce ne peut être que du point de vue de Kant. Qu’il fasse des objections à Descartes c’est forcé. Pour la simple raison que le point de vue de Kant ne peut pas être celui de Descartes. Que donc le point de vue de Descartes ne comprend pas celui de Kant.

C’est jamais le problème, Sartre ne s’est jamais proposer de comprendre Heidegger. Jamais un philosophe ne se propose de comprendre un autre philosophe. Il se propose de le lire avec passion...tout ce que vous voulez, mais, c’est pas son problème de comprendre. C’est pas non plus son problème de lui faire des objections. Son problème, c’est en fonction du nouveau point de vue - s’il a trouvé un nouveau point de vue - c’est : voir ce que devient ce nouvel auteur de ce nouveau point de vue, un point c’est tout. ...Et peut être que cet auteur n’a rien à faire du tout avec le nouveau point de vue. Donc à ce moment là, il n’y a pas d’existence du nouveau point de vue. D’où de l’inutilité de toute discussion en philosophie, de toute question et de toute objection (rires de la salles)...comme en mathématique, pour d’autres raisons, voilà. Voilà la seconde remarque.

Troisième remarque. On en était à ceci : exister, c’est choisir, et choisir, c’est choisir des modes d’existences, ou choisir entre des modes d’existence.

Exister c’est choisir et choisir c’est choisir entre des modes d’existence, bon c’est...c’est la formule de "l’alternative". Alors là, il faut consentir une objection et c’est l’objet de la troisième remarque. Oh bah quand même il y a des cas où j’ai pas le choix !... Dans l’existence, il y a bien des cas où l’on n’a pas le choix ! Là, ça va devenir difficile parce que ça va être très simple, très simple, tellement simple que...je sais pas... il y a des choses qu’on n’arrive pas à dire tellement c’est simple. Je veux dire quand on touche à ...aux manières d’exister c’est...c’est très difficile de parler de tout ça...heu... Comprenez, je dis souvent ‘’j’ai pas le choix !’’. Je le dis à mon avis dans trois cas. Qui peuvent se mélanger.

Un cas, qui en apparence est le plus noble : ‘’mon devoir est de’’. Comment aurais-je le choix ? Le devoir m’appelle. Ce cas nous l’appelons une nécessité morale. Et qui n’a connu ce moment ? Le devoir l’appellait... (rires de la salle).

Deuxième cas. Je suis forcé. J’ai pas le choix pace que je suis forcé. C’est ce qu’on appellera une nécessité physique. Il y a un état de chose. Il y a une situation qui me force, j’ai pas le choix, ah non ! J’ai pas le choix !

Troisième cas le plus sournois. J’ai pas le choix parce que j’ai trop envie de ça. Je ne peux pas résister, j’ai pas envie de résister à mon désir. C’est important parce que ça nous permet de ne pas confondre la pensée du choix avec un désir. Ah ! Tout m’entraîne, j’peux pas m’empêcher de tomber amoureux de...d’Albertine ! C’est Albertine qu’il me faut, c’est...tout m’y entraîne je n’ai pas le choix !...Heu...oh, il faut que je fasse quelque chose, il faut que je bouge. Alors voyez, ça, c’est ce qu’on appellera une nécessité psychologique. Voilà les trois dures nécessités qui nous étreignent : tantôt morale ; tantôt physique ; tantôt psychologique.

Je dois aller au secrétariat ! (Rires de la salle)...au secrétariat...je n’ai pas le choix (rires repris), nécessité physique ? Là ?... heu...nécessité morale certainement. Le devoir m’appelle. Faut que j’aille signer je ne sais pas quelle cause, bon. Nécessité psychologique, je pourrais dire : Oh ! J’ai envie de, j’en peux plus ! Mais c’est pas le cas du tout ! (Rires). Mais bon...j’en profite, je vais au secrétariat, voyez la situation ? Bon. Voilà...et ben...comment expliquez...comment expliquer la drôle de chose qui se passe ? Et là j’ai l’air d’appuyer de de... c’est des choses, que je suppose, beaucoup d’entre vous connaissent déjà. Moi je serais content si on arrivait à une espèce d’éclaircissement, parce que ça paraît aller de soi, en fait c’est tellement difficile.

Ajoutons encore un exemple simple : une scène de famille, ça doit plus se faire maintenant mais moi dans mon enfance qu’est-ce que ça se faisait alors ! Les pères les plus redoutables, ceux qui veulent apprendre à leur enfant quelque chose. Par exemple à faire un problème de mathématiques. Alors la scène de famille, c’est : viens ! Viens je vais t’expliquer ton problème de mathématiques. Bon, on sent que on y va, on se traîne...et très vite le gosse s’aperçoit même, même si bête qu’il soit que... le père n’a aucun don pédagogique (Rires de la salle), c’est-à-dire, il sait sûrement assez de mathématiques pour faire le problème lui-même, mais pour expliquer...rien. Rien ! C’est pour ça que l’enfant panique quand le père dit : amènes ton problème de mathématiques. Dans quel état il se trouve au bout de cinq minutes ? Le père est en colère et cri. L’enfant pleure et est en larme. Bon...qu’est-ce qui se passe, analyse Sartre. Je fais vraiment du à-la-manière-de. Analyse Sartre.

Sartre dit : si on les interroge, si c’est le moment, et ben, chacun brandit, y a même pas besoin de les interroger - chacun brandit, l’un la colère, et l’autre le chagrin - comme si c’était un "en-soi". Comme s’ils étaient pris dans un "en-soi". L’en-soi des larmes. En gros, si vous voulez comme une essence. J’ai la colère, je suis possédé par la colère. Je suis aveuglé par les larmes. Les larmes et la colère là sont comme des essences qui se seraient posées sur moi et qui m’auraient pénétré. Oh...chacun sait que c’est pas vrai, car je "me" suis mis en colère moi le père, je "me" mets en colère, et je me mets en colère, pourquoi que je me mets en colère ? Je me mets en colère parce que j’ai raté la conduite du pédagogue, n’ayant pas pu tenir la conduite du pédagogue petit (a), je prends la conduite petit (b) : la colère. Je ne suis plus le pédagogue, je suis le justicier. Je "me" mets en colère, c’est-à-dire, à la manière de Sartre : je me constitue comme conscience en colère. Et le gosse, il sait très bien la parade, le gosse est pas plus bête que le père, il se constitue comme pleurant, comme pleurnichant. Hein, tout ça ! Ce qui redouble la colère du père (rires). Je me mets en colère comme je me mets en larmes. Seulement voilà ! Quelle drôle de contradiction dans laquelle on est. Je ne peux me mettre en colère qu’en faisant comme si la colère était un en-soi. C’est-à-dire quelque chose dans quoi je ne me mets pas mais qui au contraire se met en moi. Je me mets en larmes, mais je ne peux me mettre en larmes qu’à condition que faire comme si les larmes étaient une essence ou un en-soi, c’est-à-dire comme si les larmes se mettaient en moi.

En d’autres termes, il y a des choix que je ne peux faire qu’à condition de croire moi-même que je ne choisis pas et que je n’ai pas le choix. Il y a des choix que je ne peux faire, c’est-à-dire dont la condition même en tant que choix, il y a des choix dont la condition en tant que choix, c’est que celui qui fait ce choix, se vive comme n’ayant pas le choix. On va voir, ça va être très compliqué ça. C’est pas facile cette...idée. C’est ça qui va exploser à la Libération pour Sartre...c’est pour ça que la théorie sartrienne du choix va être non pas calculée sur la situation de l’occupation et de la libération mais fondamentalement dirigée, visant fondamentalement les situations de l’occupation et de la libération. Mais avant, il faut que vous pressentiez, en effet c’est très curieux, je choisis...je choisis, je me mets en colère...je me constitue comme en colère...je me constitue comme en larmes. Mais je ne peux le faire que en faisant comme si j’avais pas le choix. Et je ne pourrais pas ME mettre en colère, si en même temps je n’affirmais que c’est la colère qui se met en moi.

Mais c’est très grave pour nous cette troisième remarque ! Je peux juste dire avec beaucoup de prudence pour le moment : il y a un certain nombre de situations où je dis que je n’ai pas le choix. Peut-être toutes. Peut-être que toutes les situations où je dis ‘’je n’ai pas le choix’’, sont comme ça, mais je ne peux pas encore affirmer, aller si loin. Je peux tout au plus dire...il y a un certain nombre de situations où je dis ‘’je n’ai pas le choix’’, et où, en fait, c’est ça ma manière de choisir. Si c’est vrai ça, ça nous fait faire un grand progrès dans cette troisième remarque, à savoir : le choix entre les modes d’existence c’est quoi ? Le choix fondamental entre les modes d’existence ça va être le choix entre le choix et le non-choix.

C’est-à-dire le choix entre le mode d’existence qui se sait choisir et le mode d’existence qui ne peut se choisir qu’à condition de dire et d’affirmer : je n’ai pas le choix. Le choix est donc entre choisir et ne pas choisir, si bien que ne pas choisir est encore un choix. Ne pas choisir c’est le choix que j’opère à condition de penser, de croire et d’affirmer que je n’avais pas le choix. Il y a là deux modes d’existence fondamentaux. Ce qui fait problème pour nous : c’est en quoi consiste ce mode d’existence ? et ça va être l’objet de notre quatrième remarque.

Ce mode d’existence où je choisis à condition de nier que je choisisse. C’est ce que Sartre appellera la mauvaise foi, ou le mode d’existence des salauds. Ça ramène à...je me crois revenu à...dans le passé à, c’est très curieux à...ouais...on pense plus du tout comme ça actuellement - ça veut pas dire que ça reviendra pas, ça veut pas dire que c’est pas des analyses profondes - mais je crois que les problèmes d’alors, les points de vues, les problèmes ont vraiment changés. J’ai l’impression de faire de l’archéologie et...heu...bon, mais enfin Sartre appelait ça la mauvaise foi. Ou l’existence inauthentique. Pascal appelait ça :"le divertissement". Le divertissement et...divertissement, il faut que vous compreniez ce que ça veut dire ? c’est vraiment le détournement, se divertir, se détourner. Kierkegaard appelle ça - mais pourquoi ?- le "stade esthétique de l’existence". Mais bien plus, il y mettait aussi une partie du "stade éthique". Car que fait Agamemnon ? Qui est un héros du stade éthique, comme tous les grecs. Les grecs c’est l’ethos. Agamemnon, c’est un homme de l’éthique. Au nom de l’éthique, au nom de l’ethos, Agamemnon sacrifie sa fille Iphigénie. Et, Kierkegaard, en des pages splendides, de "Crainte et tremblement - livre aussi que je vous supplie de lire et relire - dans les pages splendides de Crainte et tremblement, commente abondamment le cas de - il est génial Kierkegaard quand il se met à commenter, ...il en fait une espèce de théâtre prodigieux - le cas Agamemnon. Il sacrifie sa fille. La pauvre Iphigénie et il pleure, il pleure, il pleure, il n’a pas le choix. Il n’a pas le choix pourquoi ? Les vents sont défavorables. Les bateaux ne peuvent pas partir. Le grand prêtre a dit que les vents deviendraient favorables et que les bateaux allaient partir, tout le sort de la Grèce est en jeu. Faut que les bateaux partent, le grand prêtre a dit : ça marchera si tu sacrifies ta fille. Devoir moral. Nécessité de fait de la situation. Malgré toute son envie de sauver Iphigénie, Agamemnon doit sacrifier, et dit Kierkegaard, qui est en pleine forme quand il écrit ces pages, heu...toute la Grèce applaudit et il n’y a pas de jeunes fiancées qui n’applaudissent au sacrifice et qui disent : Agamemnon est un héros ! Il a su sacrifier sa fille...il a su sacrifier sa fille ! Et alors toutes les jeunes files grecques disent : Bravo ! Bravo ! Quel acte patriotique ! Suppose Kierkegaard. Mais il semble... il n’y a pas de protestation, c’est une...tout le monde a trouver ça très bien et Agamemnon était un grand chef.

Et Kierkegaard dit : Imaginez que Agamemnon - c’est là qu’on reconnaît le très grand Kierkegaard - heu...imaginez que Agamemnon ait eu des vents favorables, ou n’ait pas eu à partir...et un matin se soit levé en disant : « Tiens, il faut que je sacrifie mon Iphigénie... ». Alors les gens du quartier, les fiancées tout ça, lui disent « Non mais qu’est-ce qui te prend, pourquoi ? » (Rires de la salle) Il répond : « Pour rien, aucun devoir !... en raison de la puissance de l’absurde ! ». Tout le monde se dit : il est fou ! Et pourtant, vous reconnaissez un personnage qui s’oppose point par point à Agamemnon, qui surgit d’un autre livre, d’une autre civilisation, et c’est Abraham. Et pourtant il avait attendu son fils longtemps, longtemps, longtemps. Il y tenait. Et il faut qu’il sacrifie son fils, pas en vertu d’un devoir moral, pas en vertu d’une situation de fait, pas en vertu d’un désir, il désire pas. Alors en vertu de quoi ? Qu’est-ce que cette folie là qu’on nous raconte dans l’ancien Testament ? Mais c’est le domaine de la folie pure. Qu’est-ce qu’il lui prend ? C’est comme ça. "C’est affaire entre Dieu et moi". Indépendamment, au-delà de toute esthétique. Au-delà de toute éthique. On retrouvera ce problème, en tout cas Agamemnon,nous retenons juste, Agamemnon sacrifie sa fille parce qu’il n’a pas le choix. Tandis que l’autre là, Abraham il sacrifie sa fille parce qu’il a le choix. Très curieux ça, sacrifier sa fille parce qu’on a le choix, alors même qu’on ne le désire pas. C’est un grand mystère. Enfin, ce sont les mystères courants dans l’ancien Testament. Revus par Kierkegaard.

Alors ma question c’est essayons d’y voir clair dans ce mode d’existence : mauvaise foi, divertissement. Oh ! Bah là-dessus...là-dessus...heu...tout à l’heure, parce qu’il faut que j’aille au secrétariat.

Comprenez... il y a toutes sortes de pensées sur le divertissement dans "Les Pensées" de Pascal. On a l’impression que c’est, heu...d’une simplicité, ça consiste à dire : bah ! Les gens, ils pensent qu’à s’amuser, au lieu de penser à leur condition et au rapport de cette condition, de la condition humaine avec Dieu. On se dit : ah bon, bah...oui ! Alors...heu...ça fait partie pour moi de ces choses qui sont pleinement de la pensée mais où il s’agit de - si vous voulez, je sais pas comment appeler ça - c’est les pages de la sensibilité de la pensée. C’est pas des pages, il y a...il y a plusieurs niveaux de la pensée : il y a la conceptualité de la pensée, et il y a aussi une sensibilité de la pensée. Alors, à première vue c’est des textes extrêmement décevants.

Et, il prend comme exemple typique, la chasse. Ça, c’est un exemple, c’est un exemple bien parce que c’est...c’est à la mode. Le chasseur. Et il dit : Bah oui vraiment le chasseur, c’est le cas même du divertissement. C’est-à-dire le pauvre type. Et ce qu’il dit évidemment, on a l’impression que quand même, il est trop simple hein, mais on peut ajouter des choses, ce sera du mauvais Pascal, ça changera pas l’essentiel. On finit par voir ce qu’il veut dire. Il nous dit ceci : bah voilà des types qui courent derrière des lapins, et puis qui disent ‘’ce lapin, je laurai, je l’aurai’’ (rires). Il prend ça, c’est ça voilà, voilà un divertissement. Ils courent derrière le lapin, ‘’je l’aurai !’. Alors il procède aussi suivant sa méthode, il va les ranger. Il dit est-ce qu’ils veulent vraiment un lapin ? Réponse : non ils veulent pas vraiment un lapin, parce que si je leur apporte un lapin, et que j’leur dise ‘’tiens voilà un lapin que tu veux, c’est un lapin’’ et ils vont pas être contents...ils vont pas être contents. Donc, c’est pas un lapin qu’ils veulent. Et lui, il conclue tout de suite parce qu’il est pressé. Il conclue tout de suite, il dit : voyez, c’est parce qu’il n’y a qu’une chose qu’ils ne voudrons jamais avouer, c’est que ils veulent "la chasse" et non pas la prise. Voilà la lettre du texte de Pascal. Vous me direz : éminemment décevant. Eminemment décevant en apparence, parce que on rencontrera toutes sortes de chasseurs pas plus malins pour ça qui reconnaîtrons très volontiers que ils veulent la chasse et pas la prise. et que chasser est un plaisir. Bien plus, si nous suivons notre méthode qui est aussi la méthode de Pascal, ce qu’on choisit, c’est jamais un objet, un terme, ce qu’on choisit c’est un mode d’existence subjectif qui comprend ce terme. Donc je dirais à la lettre : le chasseur, c’est pas le lapin qu’il choisit, c’est la chasse. Mais la chasse c’est un mode d’existence. Bien. Bon. C’est simple. Et si on dit au chasseur, alors reculons, voilà. Voyez, premier cas : j’ai, je fais mon rangement.

Petit (a) je veux un lapin. Qu’on me donne un lapin ! Non je veux un lapin par moi-même.

Petit (b) Non ce que je veux c’est la chasse.

Alors Petit (c), bah supposez une question, mais pourquoi ? Pourquoi tu veux chasser ? Alors là, les réponses sont diverses. Bah, heu. Je veux chasser. Bah par exemple...heu y en a même qui iront jusqu’à dire, bah c’est pas tellement la chasse finalement, c’est une bonne promenade avec des copains. Une bonne promenade avec les copains. Là, et on est bien, on marche ...heu c’est pour marcher, c’est pour faire de l’exercice. Il y en d’autres qui seront plus compliqués, qui expliqueront l’affinité avec les bêtes. Heu. Bon, etcetera. Bien. Même celui qui dit, à la rigueur vous en trouverez qui diront : "mais oui, c’est pour, c’est par goût du mouvement !" La chasse est un type de mouvement qui me convient, c’est par goût du mouvement. C’est-à-dire c’est une manière de s’agiter. Bon.

Donc, ils diront exactement comme Pascal prétend qu’ils ne peuvent pas dire - Pascal dit qu’ils ne conviendront jamais que la chasse n’est pour eux qu’un moyen de s’agiter. Bah si ! On trouvera un tas de chasseurs pour convenir que la chasse est un moyen de s’agiter, c’est-à-dire de prendre du mouvement. Est-ce que ça veut dire que Pascal ait tort ? Comment serait-ce possible, évidemment non qu’il n’a pas tort. Car ce qu’il veut dire le contexte le montre assez, c’est qu’il y a une chose dont aucun chasseur ne conviendra, voyez c’est ça qu’on est en train de chercher : de quoi ne conviendra pas un chasseur ? C’est ça notre question-épreuve. Il conviendra très bien qu’il veut tuer, qu’il veut faire du mouvement. Il conviendra. Les chasseurs modernes en tout cas - et au 17e ça devait pas être mieux - heu, ils conviendront très bien de tout ça, mais il y a une chose qu’ils conviendront pas, c’est quoi ? C’est que s’ils s’agitent pas, ils crèvent d’ennui dès qu’ils sont tout seuls avec eux-mêmes. Je veux dire, ça à l’air de rien mais c’est beaucoup ce que Pascal est en train de découvrir au fond d’une conscience, c’est ce que selon lui cette conscience, ne peut exister quand se le cachant. Ce mode d’existence là, peut très bien dire ‘’Oui je m’agite !’’ mais ce qu’il ne peut pas dire c’est ‘’je m’agite parce que dès que je suis tout seul, je crève d’angoisse et d’ennui’’. Là Pascal devient fort. En d’autres termes, je trouverais tous les gens du monde pour dire :‘’Oui j’aime le mouvement, nécessité psychologique", mais je ne trouverais pas de gens pour dire ‘’ Oui je choisis le tumulte parce que dès que je me trouve tout seul je sais, je sens, que je suis un pauvre type’’. C’est en effet ça quelque chose qu’on a intérêt à se cacher.

Voyez, je veux dire j’insiste là-dessus parce que le texte pris comme tel heu... un texte pris comme tel il paraît dire pas grand-chose et puis...heu...mais, voyez..."Ils ne savent que ce n’est que la chasse et non pas la prise qu’ils recherchent". Mais si ! Ils le savent, mais Pascal va vite, un peu comme les mathématiciens. Vous savez les mathématiciens quand ils créent quelque chose, pas quand ils enseignent, quand ils créent. Ils commencent une démonstration heu...l’essentiel, ils font comme une espèce d’esquisse. Ils démontrent pas tout, ils procèdent, il y a des ellipses énormes dans les textes des grands mathématiciens, alors ils lancent quelque chose là, ils commencent et puis ils laissent le reste, heu..., ou bien entre deux fragments, ils laissent un grand blanc. Là, à plus forte raison, Les Pensées qui ne constitue pas un livre terminé, j’ai l’impression que Pascal fait des ellipses énormes, il va au plus simple et puis tout à coup ‘’pan !’’. "Ce que ils peuvent pas se dire..."ainsi l’homme est si malheureux, là c’est...c’est le vrai Pascal, ainsi l’homme est si...oh !... (Bruits dérangeants d’avions, rires de la salle), heu... ainsi l’homme est si malheureux qu’il s’ennuierait même sans aucune cause d’ennui, par l’état propre de sa complexion. Et il est si vain, qu’étant plein de mille causes essentielles d’ennui, la moindre chose comme un billard et une balle qu’il pousse, suffisent pour le divertir." Tout plutôt, ouais ! Tout plutôt, hein, n’importe quoi, mais pas... Alors évidemment en tant que chrétien, Pascal va nous traduire ça mais c’est très indépendamment, ça peut être compris très indépendamment du christianisme, Pascal va traduire ça, sous la forme du rapport avec Dieu. A savoir que il ne supporte pas l’inscription dans la condition humaine d’un rapport avec Dieu et d’un face à face avec Dieu ...ce qui est une manière de...ce qui est une manière chrétienne de dire ce que je disais, sans référence au christianisme, à savoir cette espèce de prise de conscience :le soir, quand le tumulte - mot pascalien, la notion de tumulte - quand le tumulte s’est éteint, que le type se regarde dans sa glace, et se dit mais finalement, ou du moins a un pressentiment, à peine un pressentiment, que il a beau être riche, heu, avoir réussi socialement etc. qu’est-ce qu’il est ? Mais un crétin, un pauvre type ! Alors, voilà c’est ça le fond de cette conscience. Dès lors il va très bien pouvoir avoir conscience qu’il ne cesse de s’agiter, mais ce dont il n’aura pas conscience, c’est le pourquoi de cette agitation, à savoir, il n’en aura pas conscience pourquoi ? Puisque que toute sa conscience est faite pour fuir, cette conscience dans la conscience. C’est une conscience dans la conscience que toute la conscienceva s’efforcer de recouvrir, à savoir, la révélation que si je m’agite tant, c’est parce que je ne me supporte pas une seconde moi-même. Bon...alors là c’est très proche de Sartre.

Je veux dire lorsque Sartre lance sa grande analyse de la mauvaise foi. Il nous dit : attention - je résume beaucoup - la mauvaise foi ce n’est ni du mensonge ni de l’inconscient. Parce que la mauvaise foi ne peut être comprise que dans l’unité d’une seule et même conscience. La mauvaise foi est une opération qui ne peut être comprise que dans l’unité d’une seule et même conscience ce qui exclut le mensonge. Dans le mensonge il y a une conscience dédoublée, il y a une conscience double. Conscience de ce que je dis, et conscience que c’est pas vrai. C’est pas la mauvaise foi. Le mensonge n’a absolument rien à voir avec la mauvaise foi. C’est pas non plus de l’inconscient. Ce que veut dire Sartre c’est qu’il y a dans la conscience une conscience que cette conscience ne peut que recouvrir et se cacher. C’est ça l’opération de mauvaise foi. Et cette opération de la mauvaise foi, lui, va la trouver à sa manière, en disant : mais la mauvaise foi elle est exactement comme Pascal nous dit : le divertissement c’est le mode sur lequel nous existons. La plupart d’entre nous et la plupart du temps. Sartre dira : la mauvaise foi c’est la manière dont nous existons la plupart du temps et la plupart d’entre nous. Et il appelle ça le mode d’existence inauthentique. Et ça a l’air difficile de s’en tirer parce que, que ce soit la mauvaise foi à proprement parler, ou la sincérité, c’est pareil. La sincérité est de mauvaise foi et la mauvaise foi est sincère. C’est même cette union de sincérité et de mauvaise foi, c’est même cette identité de la sincérité et de la mauvaise foi qui définit le mode d’existence inauthentique. Le sincère c’est celui qui dit : voilà comme je suis. Pourquoi il est-ce qu’il est de mauvaise foi ? Voilà comme je suis ! je suis un bon garçon ! ...je suis courageux ! Heu...etc. Ou bien il dira : je suis lâche. Je suis un lâche. Sincèrement, je suis un lâche. Oh je suis un salaud ! Bon. Ça arrive. Sincérité : rien du tout !’’. Car lorsque je dis : voilà comme je suis, c’est délicieux à dire mais ça vaut le chasseur de Pascal, c’est du pareil au même. Lorsque je dis : voilà comme je suis, comprenez bien - Qu’est-ce qu’il y a à comprendre, d’ailleurs ? Il faut jamais dire des choses comme ça, jamais ! - Mais ce que je suis, je le présente nécessairement comme une essence. C’est-à-dire je me présente comme "étant ce que je suis". Tout ça c’est du Sartre ce que je vous dis. Dans la sincérité, je me présente comme "étant ce que je suis". Ou, comme "n’étant pas ce que je ne suis pas". Non, non, non, non, je vais trop vite. Dans la sincérité je me présente toujours comme "étant ce que je suis". C’est-à-dire ce que je suis, je le présente comme mon essence. Seulement voilà, il n’y a pas d’essence. Il y a pas Mon essence. Bien plus, cela devient contradictoire. Parce que comme je me présente comme mon essence et que c’est moi qui le présente, je prends par là même une distance par rapport à ce que je suis, je suis ce que je suis, de telle manière que moi, sincère, je puisse impliquer en même temps que je ne suis pas ce que je suis. Je suis ce que je suis c’est mon essence : sincérité. Mais moi qui vous le dis et qui existe je ne suis pas mon essence je ne suis pas ce que je suis, la preuve c’est que je vous dis : je suis un lâche. Comprenez, il est pas tellement lâche puisqu’il dit qu’il est lâche. En d’autres termes, en affirmant que je suis ce que je suis, je nie que je le sois.

C’est ça l’opération de la sincérité. Voyez moi, je me mets à découvert. Oh si vous saviez, et c’est encore pire que ce que vous croyiez, je suis lâche et méchant, sournois ! Ça, ça veut dire, je suis ce que je suis. Essence. Mais ça se complète pas. Moi qui vous le dis, je suis donc autre chose que mon essence. Moi qui vous le dis, existant, en tant que j’existe, je suis évidemment autre chose que mon essence, clin d’œil, vous voyez j’suis un bon garçon ! Je vous dis tout ça... La sincérité est empoisonnée : elle est parfaitement contradictoire. En d’autres termes, le sincère étant parfaitement de mauvaise foi.

L’autre pôle, la mauvaise foi, je ne suis pas, oh vous savez...je ne suis pas alcoolique !... je suis pas alcoolique. Heu...et le type il y croit, il y croit (rires de la salle). Je suis pas alcoolique ! Bon. La preuve, la preuve de sincérité, on va voir que c’est pas la même : J’arrête quand je veux (rires). Bon alors y a des cas où arrêter, ça veut dire quelque chose et où arrêter ce sera le vrai choix et l’existence authentique selon Sartre, c’est très très...mais il y a des cas où c’est vraiment de la routine. Hein, je suis pas alcoolique, j’arrête quand je veux ! Pourquoi ? Ça néglige un fait très important, c’est que l’arrêt fait partie de l’alcoolisme lui-même, où qu’il y a un type d’arrêt, qui fait partie de l’alcoolisme lui-même. C’est pour ça que se sera pas tellement difficile à distinguer le vrai arrêt et le pas-vrai arrêt. En effet, tout alcoolique n’est pas moins alcoolique en tant qu’il arrête, que pendant qu’il boit. En quoi l’arrêt fait partie de l’alcoolisme lui-même ? C’est le fameux "dernier verre". Et par définition dans l’alcoolisme y a un dernier verre. Il n’y a pas une continuité de verre c’est pas du tout, c’est pas du tout sous cette forme... (Arrêt de la bande).

Donc le problème de « en finir avec un alcoolisme », c’est de transformer ce type d’arrêt qui appartient à l’alcoolisme en un tout autre type d’arrêt qui lui sort effectivement de l’alcoolisme. Si bien que en disant : « je ne suis pas alcoolique », je dis que en apparence je nie ce que je ne suis pas. C’est-à-dire je nie que je le soies alcoolique. C’est juste l’inverse de la dernière fois, de la sincérité. Mais justement en niant ce que je ne suis pas, je nie que je ne le sois pas puisque l’arrêt que j’invoque pour dire que je ne le suis pas fait précisément partie de l’alcoolisme, si bien qu’en disant que je ne le suis pas, je nie que je ne le sois pas. C’est la mauvaise foi ça. Et la sincérité et la mauvaise foi pour ça, ce sera l’inverse et la même chose. On est toujours les deux à la fois. On ne cesse pas d’avoir un pied sincère et un pied dans la mauvaise foi. Bon. Et pourquoi ça ? Parce qu’il y a une chose qu’on ne peut pas supporter. Et ce qu’on ne peut pas supporter Sartre en donnera une version athée de Pascal : ce que je peux pas supporter c’est précisément ce qu’il y a au fond de toute conscience que lui appellera tantôt « l’angoisse », tantôt « la déréliction », tantôt « l’absurde », tantôt « l’être en trop », l’être de trop », plutôt. Quelque chose que ma conscience ne peut se constituer qu’en le fuyant et par la fuite. C’est très, très pascalien comme thème.

Et Kierkegaard, on le retrouvera la prochaine fois mais à un autre niveau, pour le stade esthétique c’est constant. Qu’est ce que l’homme du stade esthétique ? Ce que Kierkegaard analyse splendidement c’est : une espèce de résistance de l’ennui. Ce que réclame l’homme de l’esthétique c’est de l’intéressant. « Donnez-moi de l’intéressant. Et, il va recouvrir l’ennui de tous les masques. C’est l’homme du masque, l’homme de l’existence esthétique. Seulement les masques voilà, c’est un drôle de truc pour Kierkegaard. Parce que le masque c’est d’abord le masque que j’emprunte. Et je commence toujours par emprunter des masques pour combler mon ennui et mon vide. Alors je fais le malin, quoi..., je m’prends pour un Stewart, pour un cow-boy...Tout ça euhhhh. Alors c’est pas...On prend des masques, c’est l’existence esthétique, vous voyez. Mais on passe très vite à un second niveau de l’existence esthétique. C’est que celui là il est un peu vide, il est trop médiocre, si bien qu’il faut que j’invente mes propres masques. Il faut que je sois l’acteur de mes propres pièces.

A ce moment là, l’homme de l’existence esthétique devient ce qu’il était en puissance seulement, à savoir : le séducteur. Il devient plus dangereux. Il est devenu agressif. Il invente ses propres masques. Mais ça tourne mal quand même. Parce que quand on invente ses propres masques et qu’on fait dès lors un usage agressif du masque, un usage offensif du masque, c’est-à-dire quand on séduit, en deçà du masque, à l’arrière du masque, il y a quelque chose qui pousse qui est comme le sentiment d’une intériorité. Dans le premier stade il y avait le masque et le vide, il y avait pas d’intériorité. Tandis que là y a une intériorité relative. Phrase très belle de Kierkegaard : « La forme la plus abstraite du repliement, c’est quand celui-ci (le repliement) se renferme lui-même ». Il y a un repliement sur soi qui se renferme sur soi puisque il naît derrière les masques. Et là c’est un sentiment d’anéantissement derrière les masques, un sentiment d’ennui élevé à la suprême puissance et qui rejoint une espèce de sentiment d’anéantissement. « J’ai la tête aussi vide et morte, dit-il (il s’y connaissait puisqu’il était séducteur aussi, Kierkegaard) qu’un théâtre où l’on vient de jouer. » C’est l’envers du masque, ça. Alors vous voyez tout ça, ça revient au même.

Comment définir ce mode d’existence alors inauthentique ? Soit la mauvaise foi, soit un divertissement, soit le stade esthétique.

Finalement c’est précisément ça : un choix que j’opère ayant pour condition l’affirmation que je n’ai pas le choix. Voilà comme je suis, de la sincérité. Je ne suis pas cela de la mauvaise foi. Le divertissement du chasseur. Et qu’est ce qu’il y a sous tout cela ? Pourquoi est-ce que je me cache ? Pourquoi est ce que la condition de cette conscience va être de se cacher, ce qui la rend possible ? A savoir : je me cache que je choisis.

Je me cache que je choisis tel mode d’existence parce que précisément ce mode d’existence, je ne peux le choisir que si je peux me dire : « je n’ai pas le choix ». C’est-à-dire que si je peux dire ou bien "c’est mon devoir " la sincérité, ou bien "c’est mon goût" : « j’aime chasser, j’aime me mettre en mouvement », ou bien "c’est la situation qui l’exige". Vous me direz, il y a quand même des cas faut pas exagérer ! il y a des cas où la situation exige. Ouais ! peut être.. Sartre allait très loin il disait : non ! il n’y a jamais de cas. Prenons les cas qui occupaient Sartre, les cas extrèmes : la torture, la menace sur les gens, les otages, la torture sur soi-même. Qu’est ce qu’il y a à choisir, là ? Comment faire autrement que dire : j’ai été forcé si on me dit : "il y a 20 personnes qui vont y passer si tu parles pas" ou si on me torture. C’était des situations courantes à l’époque et qui continue à être des situations courantes. Qu’est ce qui se passe ? Est ce que je dois pas reconnaître que là il n’y a pas le choix ? On verra tout à l’heure.

Pour Sartre il n’y a pas de doute : là même, il y a le choix. Et aprés tout dans la plupart des cas, il y a un choix possible qui est le suicide. Je parle dans le cas de torture sur soi-même, dans les autres cas où il y a otage, cela me parait plus compliqué, je ne sais pas, il faudra revenir sur ce point.

Je viens d’essayer de définir, c’était ma 4ème remarque : on appellera mode d’existence inauthentique le mode d’existence de celui qui choisit à condition de nier qu’il ait le choix. C’est toujours le même thème, si vous voulez : Choisir c’est toujours choisir entre choisir et ne pas choisir. Une fois dit que ne pas choisir c’est choisir en disant j’ai pas le choix.

D’où 5ème remarque, si vous avez compris ça vous avez tout compris, car dès lors, si je prends conscience qu’il s’agit de choisir, c’est là que ça devient bizarre - dès lors je n’ai plus à m’en faire, j’ai plus le choix mais d’une toute autre manière que tout à l’heure. Tout à l’heure je choisissais à condition de croire que je n’avais pas le choix. Maintenant je sais qu’il s’agit de choisir.

Comme dit Kierkegaard, là aussi dans une formule dont il a le secret : « Il n’y a jamais de solution, il n’y a que des décisions. ». Je prends conscience qu’il s’agit de choisir. Donc j’ai pas de problème. Pourquoi ? J’ai pas le choix car il y a une chose au moins une chose que je ne peux pas choisir : c’est tous les modes d’existence que je ne pourrais choisir qu’à condition de croire que j’ai pas le choix. En d’autres termes le choix du choix. Si je choisis le choix, j’ai déjà choisi un mode d’existence. Je n’ai pas besoin de spécifier ce qu’il y a à choisir.

Voyez, je suis tellement loin des termes. J’ai déjà qualifié mon mode d’existence en choisissant le choix. En choisissant le choix je me suis interdit tous les choix que je me faisais qu’à condition de dire j’ai pas le choix. En d’autres termes, si je choisis le choix, moi Agamemnon, je ne sacrifierai pas Iphigénie et je dirai au grand prêtre, à la l’opinion grecque, etc....expulsez moi, faîtes de moi ce que vous voulez, je ne sacrifierai pas la douce Iphigénie car sacrifier la douce Iphigénie, moi père d’Iphigénie, je ne pouvais le faire qu’en disant j’ai pas le choix. Si j’apprends et si je prends conscience qu’il y a un choix, je ne peux pas opérer le choix que j’aurai fait en disant « j’ai pas le choix ». Comprenez ? Est-ce que vous comprenez ? Est-ce que ça va changer votre vie ?

Abraham ?

Ah ah !! Eh bien Abraham il est en plein dans l’coup. Il en rajoute. Vous sentez venir peut-être Abraham. Lui, l’opération qu’il va faire... Hélas, je ne peux pas dire encore l’opération qu’il va faire. Ce que je peux dire, c’est du coup, le pari de Pascal et ce que ça cache, ce pari de Pascal ? En d’autres termes c’est une manière de renouveler, je crois que si vous voulez, il y a un point sur lequel tous les philosophes ont toujours dit la même chose : la volonté. Quand on parle du concept de volonté, il n’a qu’un objet c’est la liberté. Il n’y a de volonté que volonté de liberté ou si vous voulez, la liberté n’a pas d’autre objet qu’elle-même. C’est la même chose qu’il retrouve mais dans un contexte très particulier qui est cette pensée très... signée, très particulière, très singulière du choix.

Le seul choix c’est celui du choix. Alors on va dire : « Oh ! Bah si tu dis le choix, il s’agit de choisir de choisir, t’as rien dit du tout ! » Si j’ai dit beaucoup puisque j’ai exclu déjà toutes sortes de choses, toutes sortes de choix qui sont dès lors impossibles. D’où le thème de Sartre : « Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation » (rire).

Cette pensée qui nous paraît là aujourd’hui, bon...Qu’est ce que ça veut dire ? La majorité, voyez déjà les problèmes se font il y avait quand même les fascistes, on les laisse de côté pour l’instant. Mais la majorité tous les Vichyssois, tous ceux qui ont suivi Pétain c’est à dire la majorité, ce n’étaient pas des fascistes, ils les supportaient mais ce n’en étaient pas. En revanche, ils ne choisissaient pas Pétain. J’ai jamais entendu un pétainiste dire qu’il choisissait Pétain contre De Gaulle, Jamais, c’est même une manière de penser qui n’avait pas de sens pour lui pourquoi ? Pour une raison très simple : la collaboration ils ne pouvaient la choisir qu’à condition de dire « y’ a pas le choix, il n’y a pas le choix, les allemands sont là ! moi, directeur d’usine, que voulez-vous que je fasse ? Faut bien que je fasse tourner mes usines ! » Fallait bien ! Et ceux qui ont pris conscience qu’il y avait un choix, par la même, ils étaient déjà déjà résistants. C’est pas dificile ! Vous me direz je laisse de côté le cas des fascistes. Parce qu’il y avait une bande de fascistes qui choisissaient. Cela va nous poser des problèmes.Mais pour le moment, on procède par ordre, on laisse de côté. Ceux qui prenaient conscience qu’il y avait un choix, ils avaient déjà choisi puisque leur choix était devenu radicalement impossible, le choix d’être collaborateur, le choix d’être collaborateur ne pouvant se faire qu’à condition de, ...tout ça c’est très abstrait, on peut très bien imaginer un collaborateur qui dit : j’ai choisi d’être collaborateur. Non. Vous pouvez imaginer en fait un fasciste disant j’ai choisi d’être fasciste, et encore, on verra dans quelles conditions. Mais un collaborateur qui parle au nom de l’ordre établi et au nom de l’état des choses et par définition c’est ça un collaborateur, c’est celui qui parle au nom de l’état de chose. Il peut pas dire j’ai choisi la collaboration.

Au contraire il dira « Ô ! tout mon cœur est avec vous, les résistants. Mais vous êtes des enfants, des poètes,... Moi qui suis réaliste, je sais bien, hélas ! Si seulement j’avais le choix. Mais j’ai une famille, des ouvriers à faire travailler.... ». On a entendu que ça. Voilà et dès que je choisissais, mon choix était déterminé. Choisir de choisir, ce n’est pas choisir du vide. C’est choisir un mode d’existence où j’ai conscience de choisir. Voyez par là même j’ai pu ranger deux modes d’existences fondamentaux à partir du point de vue subjectif : le choix : Le mode d’existence que je choisis en sachant qu’il s’agit d’un choix. Le mode d’existence que je choisis en niant que c’est un choix.

Alors ça devient très bien parce qu’on voit du coup pourquoi les auteurs de cette lignée, du choix, s’opposent à la morale. Ceux sont à la lettre, des immoralistes. Et je parle aussi pour Pascal aussi bien que ...Ils détestent la morale. Pourquoi ? Parce que la morale parle au nom du devoir. Elle ne parle pas au nom des modes d’existence. C’est une discipline qui à tort ou à raison, règle nos actions sur des valeurs transcendantes. Et je ne vois aucune autre définition possible de la morale. Ces valeurs transcendantes sont le bien, le mal, le devoir, la vertu. Et on appellera morale toute activité de ce type : toute discipline qui juge des actions en les rapportant à des valeurs. Est-ce bien, est-ce mal ? En ce sens Agamemnon est un homme de la morale. Tandis que cette lignée d’immoralistes, c’est pas du tout des gens pour qui tout se vaut - vous l’avez vu à quel point ça se vaut pas. C’est une certaine lignée qui nous dit : "ce que vous croyez, ce que vous faîtes, ce que vous dîtes, vous le jugerez non pas en le rapportant à des valeurs transcendantes mais au contraire en le rapportant au mode d’existence "immanent" que cela suppose.

Là, l’épreuve est très concrète. Tout comme pour le Bien et le Mal. L’épreuve morale et l’épreuve immoraliste s’opposent complètement. Et y a des choses que l’épreuve morale condamnera fermement et que l’épreuve immoraliste recommandera. Ce ne sera pas du tout abstrait, leur lutte. Mais, dans cette pensée du choix que j’appelle le courant de l’immoralisme, les modes d’existence immanents, c’est très curieux ! Ils peuvent être en un sens plus rigoureux que les moralistes : Pascal c’est pas rien, et même Sartre qui a traîné une sorte de morale immoraliste pire que toute morale. Ca c’était son passé protestant. Je dis version athée, version athée, euh...C’est pas seulement une version athée. Sartre n’a jamais vraiment digéré son réformisme. Le poids d’une famille est une hérédité puissante. Vous pouvez faire des expériences. Vous entendez quelque chose qui vous paraît révoltant. A la télé, dans la rue, au café, sur le comptoir,...quelque chose de bien ignoble et où le type il a l’air plutôt malin d’avoir dit cette ignominie. Quelque chose de bien dégoutant ! Et vous vous dîtes pas c’est bien, c’est mal, mais vous faîtes l’expérience inverse. Vous vous dites ; quel est mode d’existence implique pour en arriver à dire un truc pareil. Y a un degré de vulgarité par exemple, hein... des phrases qui contiennent un poids de vulgarité. On regarde le type. Pourtant ça ne se voit pas... Et on se dit en un éclair mais un éclair qui donne le vertige parce qu’il convient d’aimer tout le monde, sur quel mode est-ce qu’il peut exister pour pouvoir dire un truc comme ça ? Alors là le vertige vous prend, presque un vertige physique parfois. C’est trop, merde, alors...De quoi est capable un type qui dit ça même pour rigoler. A ce moment là, c’est même plus des vertiges, c’est des sueurs froides qui vous prennent... C’est ça vous comprenez ?

Je termine sur le pari de Pascal. Qu’est-ce qu’il nous dit ? Vous allez parier pile ou face : Dieu existe ou Dieu n’existe pas. Deuxième chose. Qu’est-ce que ça engage ? ça engage deux modes d’existence. Evidemment pas deux modes d’existence de Dieu ! De qui ? De l’homme qui parie que Dieu existe et celui qui dit qu’il n’existe pas. Donc le pari ne porte pas sur l’existence de Dieu. Son existence ou non existence joue exactement le rôle de ‘terme’ dont on était partis c’est-à-dire, constitue l’alternance qui constitue ma première remarque mais l’alternative qui constitue ma deuxième remarque ne porte absolument pas sur l’existence de Dieu mais sur les deux modes d’existence de l’homme :

le mode d’existence de l’homme de la foi ; et le mode d’existence de l’athée ; de celui qui nie que Dieu existe. Ne surtout pas confondre le pari dont je peux dire à le rigueur c’est : est ce que Dieu existe-t-il ou non ? Et le ‘gage’ : ce que le pari engage, que Pascal emploie : ce que le pari engage c’est le mode d’existence de l’homme.

3ème niveau du pari de Pascal 1 - Ce que je risque de perdre : 1ère réponse, il y a 2 sous niveaux Rien : en choisissant le mode d’existence de l’homme qui croit en Dieu, je ne peux rien perdre et je ne peux que gagner tout. Je ne perds pas ma vie. En revanche, je risque d’y gagner une infinité de vies. Et vous verrez dans le texte le contresens qu’on peut faire en croyant que le pari porte sur l’existence de Dieu. Car il ne s’agit pas, vous le verrez dans le contexte qui est tout à fait formel, d’une infinité de vies qui serait la vie infinie de Dieu, c’est l’infinité de vies que gagne l’homme de la foi : à savoir l’éternité chrétienne. Donc je risque de gagner une infinité de vie sans même perdre la vie une, que j’ai.

Je ne peux rien perdre mais est-ce que je ne gage pas trop ? C’est toujours la différence perte/gain et le gage. J’ai quelque chose à perdre si je choisis le mode d’existence de celui qui croit que Dieu existe. Et quoi ? Le divertissement. Je perds le divertissement et je gagne de me supporter moi-même pour une infinité de vie et de me réjouir en moi-même pour une infinité de vie. Mais on a vu que le divertissement, c’était quoi ? c’était le choix qu’on ne pouvait faire qu’en disant : "j’ai pas le choix". En d’autres termes, si je choisis le divertissement, je perds bien quelque chose mais je ne perds rien du choix. Dès lors, si les gens savaient qu’il s’agit de choisir, ils choisiraient nécessairement le mode d’existence de celui qui croit que Dieu existe, puisque c’est la seule manière de choisir le choix et la seule chose que j’y perde, c’est ce faux choix qui consiste à choisir, à condition de dire : "j’ai pas le choix".

C’est beau. C’est un texte très très fondamental, quoi. Dès lors, aux deux questions qui sont ordinairement posées concernant ce texte, il faut répondre par deux fins de non recevoir, à savoir : ce sont des questions stupides : première question : en quoi est-ce une preuve de l’existence de Dieu : question stupide, ça ne prétend pas être une preuve de l’existence de Dieu bien plus cela ne concerne pas l’existence de Dieu. Deuxième question : à qui s’adresse le pari ? A quel type d’homme l’un ou quel autre ? Deuxième question stupide puisque le pari consiste à classer et à faire "une typologie" des modes d’existence de l’homme. (Bruit d’avion )

Si c’est comme ça tout va bien, il nous reste juste quelques points qui vont faire difficulté : et ce sera l’objet de la semaine prochaine de notre 6ème remarque : on en est au point suivant : une typologie... On est passé, j’insiste énormément la dessus, il fallait passer de l’alternance des termes, à l’alternative des modes d’existence. Je crois que c’est toute l’astuce du texte de Pascal. Parce qu’il y a les deux : l’alternance des termes ne doit être dans le théorie des jeux, dans la théorie des chances, l’alternance des termes n’est qu’un moyen de nous conduire à l’alternative des modes d’existence.

Alors une typologie des modes d’existence, bon ! J’ai bien mes deux grands machins là : modes d’existence authentiques ; modes d’existence inauthentiques ( ou mode d’existence de celui qui croit que Dieu existe et mode d’existence "divertissement"). J’ai bien ça mais il y a toutes sortes d’autres cas. Voilà les questions que Je pose très vite parce que c’est de là que l’on partira.

Est-ce qu’il y a pas un choix malgré tout pour le Bien ? On nous dit : "il s’agit de choisir le choix, contentes toi de choisir le choix". Est-ce qu’y a pas un choix pour le bien ? Qu’est ce que c’est ça ? et surtout est-ce qu’y a pas un choix pour le mal ? Qu’est ce qui m’empêche de dire à Pascal : je choisis précisément le divertissement et même je saurai vaincre la mauvaise foi à condition d’aller jusqu’au bout, je saurai vaincre le divertissement à savoir : je choisis le Diable, je choisis contre Dieu. AÏe aïe ! Je choisis pour le mal. Est-ce que ça existe, ça ? C’est ça qu’il faudra traiter. A première vue ce n’est pas dangereux comme question : Georges Bataille faisait la remarque qui m’a toujours paru juste et à tout le monde : les pires fascistes n’ont jamais dit : j’ai choisi. Ils ont toujours dit, même les plus hauts, même les plus responsables : ils ont toujours dit : j’obéissais. Ils ont invoqué un non choix.

On à jamais vu un fasciste invoquer un choix. C’est évident que Hitler aurait survécu et aurait eu un procès, il n’aurait pas dit :" j’ai choisi d’exterminer les Juifs". Peut-être...On ne peut pas le faire parler. En tous cas Goering ne l’a jamais dit, Himmler ne l’a jamais dit. Himmler s’était tué déjà ou pas ? je ne sais plus. Eichmann disait : " moi je suis un petit fonctionnaire". Comme disait très bien Bataille : "les fascistes, ils invoquent généralement l’ordre établi, ils n’invoquent pas le choix". Mais supposons, on peut supposer comme une épreuve littéraire. Quand même j’ai l’impression qu’il y avait des petits gars, ceux dont parlait si bien Genêt à la libération. Les petits types qui tiraient sur les toits qui avaient fait le pari contraire : "j’y laisserai ma peau mais je les emmerderai jusqu’au bout ! je leur ferait du mal jusqu’au bout" Il y a surement des petits miliciens qui se sont fait fascistes, une espèce d’entreprise de tuerie. "J’en tuerai autant que je peux". Pourquoi il n’y aurait pas un choix ? Alors là qu’est-ce qu’il y a à dire ? C’est dans ce problème brûlant que je vous laisse pour une semaine.