Sur Foucault les formations historiques

Cours Vincennes - St Denis
Cours du 05/11/1985

Ce qui serait très mal ce serait que vous n’ayez aucune question. Mais il se peut que vous ayez des questions et que vous les gardiez pour vous : ça c’est très bien ! Donc il n’y a pas lieu de revenir sur des choses ?

Question : (inaudible)… ne peut-on considérer le régime nazi comme un phénomène de... (inaudible)

Gilles Deleuze : Si on ne peut pas quoi ? Réponse : pourquoi pas ? Je veux dire : mais ça a peu de chose à voir avec Foucault ça. Oui, ce serait à vous de vous demander dans quelle mesure, on peut considérer des phénomènes collectifs comme des maladies. Je ne sais pas, je ne sais pas du tout. Alors il n’y a pas de problème pour le moment ? Je veux dire : pas de problème quant au point où on en est concernant Foucault ? Oui ?

Question : inaudible.

G.D. : C’est très intéressant ce que vous dites. En gros, vous me dites que je ne tiens pas assez compte d’une évolution, ou de changements de Foucault, ou du progrès de ses démarches.

Interlocuteur : J’ai employé le mot déplacement...

G.D. : Déplacement... oui, mais enfin comme c’est un mot savant « déplacement », oui ! mais enfin ne vous attachez pas au mot. Je vais vous dire, s’il s’agit de commenter certaines notions de Foucault, c’est deux tâches assez différentes : essayer de montrer la nouveauté des notions et leurs rapports, et d’autre part - et pourtant il faut bien faire les deux en même temps - essayer de montrer l’évolution que Foucault a traversée pour arriver à ça. Alors c’est assez vrai que, moi personnellement, les questions d’évolution m’intéressent moins que la question de la cohérence dans un système de nouveaux concepts. C’est pour ça que je trouve cette remarque tout à fait justifiée. Mais ça ne me paraît pas très difficile. Je prends un exemple : on peut dire que, jusqu’à L’Archéologie du savoir, ce qui domine chez Foucault c’est : qu’est-ce que le savoir ? Qu’est-ce que savoir ? Et puis, avec Surveiller et Punir et le livre qui s’appelle paradoxalement, La Volonté de savoir, on s’aperçoit très vite que Foucault se lance en effet dans une nouvelle dimension. Et qu’il ne s’agit plus exactement du savoir, mais qu’il s’agit du pouvoir. Et puis on s’aperçoit que, là on a moins de peine à s’en apercevoir, tellement il le dit explicitement, on s’aperçoit que, avec les deux derniers livres, L’Usage des plaisirs et Le souci de soi, c’est encore une autre dimension qu’il découvre. En ce sens, pour reprendre le mot, il y a une série de déplacements. Il faudra les marquer. Il faut les marquer.

Vous remarquerez que j’insiste sur le point suivant, c’est que, comme j’ai commencé par la question « Qu’est-ce que le savoir ? », à mon avis je n’ai pas à marquer, à l’intérieur de cette question, une évolution fondamentale. Et pourtant, la réponse à cette question n’est pas la même dans La naissance de la clinique et dans Archéologie du savoir. S’il y a déplacement à l’intérieur de la question « Qu’est-ce que le savoir ? », il n’en est pas moins que « Qu’est-ce que le savoir ? » est une question qui a sa consistance et qui trouve des éléments de réponse dans l’ensemble des livres jusqu’à Surveiller et Punir. Ensuite il y a un déplacement : la question devient « qu’est-ce que le pouvoir ? ». Il y a bien découverte d’une nouvelle dimension, on le verra, et en effet, quand on aura fini tout ce que j’ai à dire sur « Qu’est-ce que le savoir ? », on passera à « Qu’est-ce que le pouvoir ? ». Et là j’essaierai de marquer que, en effet, il y a, comme vous dites, un déplacement. Mais, voilà ce qui m’intéresse encore plus : ce qui m’intéresse encore plus c’est que, bien sûr, il y a une nouvelle dimension, mais que ce n’est pas par hasard qu’il passe d’une dimension qualifiée comme savoir à une autre dimension qualifiée comme pouvoir. Je veux dire : il faut bien que quelque chose dans la dimension du savoir l’ait forcé à passer à une autre dimension. Il faut donc que la question « Qu’est-ce que le savoir ? » se soit heurtée à un autre problème, au problème qui se présente au sein même de la question du savoir. Si bien que, pour rendre compte des déplacements, toute ma méthode serait : qu’est-ce qu’il y a dans un énoncé - lorsque Foucault pousse le plus loin qu’il peut son analyse de l’énoncé - qui nous force à quitter ce domaine du savoir pour nous installer dans le domaine du pouvoir. Or il faut que ce quelque chose qui nous force à quitter le domaine du savoir soit inscrit dans le savoir lui-même. Donc il faudra que nous découvrions, dans l’énoncé même, quelque chose à quoi l’énoncé ne peut pas répondre. Si bien que, en ce sens, ne cessera pas de m’intéresser - bien plus, si vous voulez, que le parcours de Foucault - que en quoi l’ensemble des nouveaux concepts qu’il crée, en quoi cet ensemble a-t-il une consistance ? Ce qui m’intéresse ce n’est pas que Foucault fasse succéder une analyse du pouvoir à son analyse du savoir. Ce qui m’intéresse c’est : quels sont les points d’ancrage qui ont fait que, dans le domaine du savoir même, il fallait passer à un problème du pouvoir.

Et ça, à mon avis, c’est déjà présent dans L’Histoire de la folie. Ce qui est présent dans L’Histoire de la folie, ce n’est pas, dès L’Histoire de la folie, ce qui est pleinement présent déjà dans L’Archéologie du savoir, ce n’est pas une analyse du pouvoir qui surviendra qu’après, mais c’est la nécessité de dépasser l’énoncé vers une autre instance. Alors c’est seulement après que nous apprendrons que, cette autre instance, c’est celle du pouvoir. Mais la nécessité de dépasser l’énoncé vers une autre instance est pleinement posée dans L’archéologie du savoir. Mais quelle est cette autre instance ? On ne peut pas le savoir encore. Si bien que, lorsqu’on découvrira, par l’analyse du pouvoir, quelle est cette autre instance, à ce moment-là c’est comme si une espèce de blanc de L’Archéologie du savoir était rempli. Alors on peut certainement parler de déplacement d’un livre à l’autre, mais, il me semble, à condition d’ajouter que, ces déplacements, à chaque fois qu’ils s’opèrent, viennent remplir un blanc de la période précédente. Mais pour tous ceux qui trouvent que je n’attache pas assez d’importance à une « évolution », ça me paraît très légitime et, en effet, ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus. Ce qui m’intéresse le plus, voilà, je voudrais dire que, pour moi, tous les concepts nouveaux de Foucault se développent sur trois axes, c’est une pensée à trois axes, c’est-à-dire c’est une pensée dans l’espace, ce n’est pas une pensée sur un plan, c’est une pensée dans l’espace. Vous avez, mettons : un premier axe « savoir », un deuxième axe « pouvoir », un troisième axe, mettons, « désir ».

Ce que je veux dire, c’est que, pourtant les deux sont vrais. Il est vrai que Foucault commence par l’axe du savoir. Puis atteint à l’axe du pouvoir. Puis explore l’axe du désir. On dira, d’un axe à l’autre, il y a évolution ou, il y a, en tout cas déplacement. Mais ce qui m’intéresse moi, pour mon compte, dans ce que je veux faire cette année, ce n’est pas qu’il passe d’un axe à l’autre successivement, ce qui m’intéresse, c’est l’ensemble des trois axes et comment les nouveaux concepts se ventilent en fonction de ces trois axes constituant un espace. Alors, en effet, ce n’est pas difficile à ce moment de corriger, chaque fois ce que je dirai en y introduisant l’idée de, ou en réintroduisant constamment l’idée que : ah mais il a commencé par le savoir ? C’est-à-dire que c’est des corrections que vous faites vous-mêmes et qui peuvent entraîner beaucoup de changements, mais il n’est pas souhaitable que vous ayez la même lecture que moi, sûrement pas. Moi, ce que je vous propose, c’est pour aider la vôtre. C’est-à-dire la seule chose que je vous demande c’est de bien vouloir considérer ce que je vous propose, mais pas du tout de me donner raison. Il faut au contraire que vous construisiez, que vous fassiez votre lecture propre, votre lecture à vous.

Alors, finalement, ce qu’on a abordé la dernière fois, c’est le tout début de la question, à mon avis la plus difficile dans toute l’œuvre de Foucault, à savoir : qu’est-ce qu’un énoncé ? Et ce qu’on a dit, et, là-dessus, donc, je vois, ça semble être clair, puisqu’il n’y a pas de question, on a vu - il faut procéder très doucement - on a vu un premier thème de Foucault à savoir : l’énoncé, les énoncés d’une époque - puisque les énoncés renvoient à des formations historiques, ça on l’a vu dès le début - et bien les énoncés d’une époque ne sont jamais cachés... Et pourtant. Et pourtant. Les deux doivent être tenus l’un avec l’autre. Et pourtant ils ne sont jamais immédiatement donnés. C’est compliqué déjà comme idée. Les énoncés ne sont jamais cachés. On l’a vu en effet, je ne reviens pas là-dessus puisque tout va bien, toute époque dit tout ce qu’elle a à dire. Toute époque dit tout ce qu’elle peut dire. Elle ne cache rien, ou, du moins, ce qu’elle cache est tout à fait secondaire, au sens où jamais l’histoire ne s’est faite par des secrets d’État. Le secret d’Etat, c’est vraiment une petite chose par rapport au mouvement de l’histoire. En gros nous pouvons dire qu’une époque dit tout ce qu’elle a à dire. Bon, ça on l’a vu, on l’a beaucoup développé, donc je suppose que vous me l’accordez ou plutôt que vous l’accordez à Foucault. Mais ça n’aurait aucun sens s’il n’ajoutait pas aussi : mais attention, ça ne veut pas dire que les énoncés soient immédiatement donnés, c’est-à-dire soient immédiatement lisibles. Alors ça se complique ça. A la fois non secrets, non cachés et pourtant non immédiatement lisibles ou visibles. Non immédiatement lisibles. Ça veut dire quoi ? On comprend vaguement, si vous voulez, mais encore très vaguement, on comprend que Foucault est en train de nous dire : les énoncés ne sont jamais cachés, mais attention ! Vous n’y atteindrez que si vous vous élevez jusqu’à des conditions qui permettent de les extraire. Mais ça, ça lance un problème : les extraire de quoi ? Je dis, comprenez, c’est pour ça que l’on va très très doucement. Je dis : les énoncés ne sont jamais cachés, mais ils ne sont pas immédiatement donnés parce qu’il faut les extraire.

En effet : l’énoncé va être une notion originale formée par Foucault. Il faut les extraire, encore une fois : de quoi ? Toute époque énonce tout ce qu’elle a à énoncer. Mais, si vous ne vous élevez pas jusqu’aux conditions de l’énoncé à une époque, vous ne risquez pas de les trouver. En d’autres termes : encore faut-il savoir lire. Mais qu’est-ce que c’est que lire pour Foucault ? Une époque ne cache rien... oui : pour l’archéologue qui sait lire les énoncés. L’énoncé doit être lu, c’est-à-dire, dans ce cas, extrait de quelque chose. Extrait de quoi ? Il faut bien vous pénétrer de ce problème. Peu importe si vous êtes d’accord avec ce problème ou pas. Peu importe : ce n’est pas notre question. Il faut faire comme si vous étiez d’accord un certain moment. Quitte à revenir sur votre accord. Mais, je veux dire, peut-être sentez-vous : c’est là que ça commence à être intéressant. Pour moi c’était déjà intéressant parce que Foucault nous disait : vous savez toute époque dit tout ce qu’elle a à dire. C’était un principe d’étude d’histoire, d’étude historique très intéressant : il n’y a pas de secret. Mais le « Il n’y a pas de secret » est immédiatement complété par : si vous ne savez pas lire les énoncés, vous ne les trouverez jamais. Il faut les extraire.

Et l’archéologie ce sera : l’extraction des énoncés d’une époque, l’extraction des énoncés d’une formation historique en tant qu’ils ne sont jamais immédiatement donnés, en tant qu’ils ne sont jamais immédiatement lisibles.

Mais alors qu’est-ce qui est immédiatement donné ? On va peut-être avancer si on se demande : qu’est-ce qui est immédiatement donné ? La réponse de Foucault ce serait : ce qui est immédiatement donné, c’est des mots, des phrases et, à la rigueur - je préciserai tout à l’heure ce « et à la rigueur » - des propositions. Mais Foucault nous dit : attention, ce que j’appelle « énoncé », ce que j’éprouve le besoin d’appeler « énoncé », ne se réduit ni aux mots, ni aux phrases, ni aux propositions, ni aux actes de parole. Et, en effet, c’est en ce sens que, je vous rappelle que le concept d’énoncé chez Foucault est si original qu’il aurait pu aussi bien inventer un mot nouveau pour désigner cette chose-là. Puisqu’il ne nous cache pas que selon lui, ce qu’il appelle « énoncé » ne correspond à rien de ce dont les linguistes ou les logiciens nous ont parlé jusqu’à maintenant. Donc il se réclame d’une originalité radicale du concept d’énoncé qu’il nous propose.

Et sa thèse générale ce sera : l’énoncé ne se ramène ni aux mots, ni aux phrases, ni aux propositions, ni aux actes de parole.

Ah bon, alors ? Au moins dans notre progression tellement lente - et que je voudrais très très lente - on s’arrête un peu là. Qu’est-ce qu’on peut tirer de ça ? Ça ne se ramène à rien de tout ça. Bon : profitons-en. Ça veut dire clairement que si nous en restons aux mots employés à une époque, aux phrases dites à une époque, aux propositions dégageables à une époque, aux actes de parole proférés à une époque, nous ne saisirons pas et nous ne pourrons pas saisir les énoncés. Bien plus ! C’est là que nous aurons l’impression que les énoncés sont cachés. Si vous en restez aux mots, aux phrases, aux actes de parole, vous direz : les énoncés sont cachés. Ce n’est pas du tout parce que les énoncés sont cachés effectivement, c’est parce que les énoncés ne se réduisent ni aux mots, ni aux phrases, ni aux actes de parole. Ah bon ? Tiens ! Essayons de donner un exemple. Je m’interroge sur la sexualité au XIXe siècle. Vous voyez tout de suite que l’exemple que j’invoque est un exemple que Foucault développera tardivement. Il le développera dans le premier tome de son Histoire de la sexualité, à savoir dans le livre intitulé La volonté de savoir. Et il prend un très bon exemple dans le chapitre, dès le début, dans le très beau début de La volonté de savoir, le premier chapitre s’intitule : « nous autres victoriens ». La période victorienne. Et qu’est-ce qu’on entend dire sur la période victorienne, en quoi est-ce qu’elle nous intéresse ? On nous dit souvent que c’est une période où s’est exercée une profonde répression de la sexualité et que, notamment, il était défendu d’en parler. Bien plus ça organise une certaine histoire toute faite. Au XIXe siècle, nous dit-on, on ne parlait pas ou on parlait peu de la sexualité, et puis Freud est arrivé. Bon... une pareille conception est quand même louche... Freud est arrivé, alors quoi ? Et puis Freud est arrivé et puis on s’est mis à parler de la sexualité. Il a enfin parlé de la sexualité. Alors il y a des problèmes. Tout de suite, si je prends cette proposition - ce n’est pas un énoncé - cette proposition : Freud est arrivé et nous a appris que l’enfant, tout petit, avait déjà une sexualité. Ah ? Alors, quand même, qu’est-ce qui nous trouble ? Qu’est-ce qui trouble toute âme honnête à une pareille proposition ? Peut-être qu’on ne la tient plus aujourd’hui, en grande partie grâce à Foucault. Et puis si on ne la tient plus, n’empêche qu’on l’a tenue dans les manuels de psychanalyse, il y a longtemps, on nous présentait les choses comme ça.

Qu’est-ce qui nous gêne ? Ce qui nous gêne immédiatement, c’est des trucs dont on a presque honte de parler. On se dit : mais voyons, il n’y avait pas de nourrices à l’époque ? Il n’y avait personne qui changeait un petit enfant ? Qu’est-ce que ça veut dire ? On ne savait pas qu’il y avait une sexualité infantile ou on n’en parlait pas... Quand une nourrice rencontrait une autre nourrice : elle ne parlait pas des phénomènes de sexualité infantile chez le bébé ? Elle ne se parlait pas à elle-même, quand elle changeait le gosse ? C’est bizarre ça, vous ne trouvez pas ? Je ne sais pas, c’est quand même très très bizarre. Et puis, et alors, les phénomènes d’onanisme ? L’onanisme, c’était pas connu ça ? Alors là on se dit : évidemment c’était connu. Alors, c’était connu et on n’en parlait pas ? Sentez que c’est du pur Foucault : en quel sens ? Il ne faudra pas s’étonner si Foucault nous dit - et on verra l’importance que ça a pour la philosophie en général, là je le fais parler, mais il y a l’équivalent chez lui - « j’attache plus d’importance à un énoncé de nourrice qu’à l’énoncé d’un grand psychiatre ». C’est-à-dire : il faut choisir les énoncés auxquels vous allez vous adresser. Bon qu’est-ce que ça veut dire tout ça ? Il y a un livre qui arrive à la fin du XIXème siècle, qui commence à la fin XIXe siècle, qui est devenu le grand classique de l’époque et qui se fait indépendamment de toute influence de Freud et de la psychanalyse. C’est le livre colossal qui est resté la base de tout, le livre de Krafft-Ebing. Krafft-Ebing publie son énorme livre : Psychopathia sexualis. Psychopathia sexualis : tiens, le titre est en latin. C’est très intéressant que le titre soit en latin. Dans l’entrain, lisons jusqu’au sous-titre. Le sous-titre nous dit : « à l’usage des juristes et des médecins ». Bon. On parcourt le livre, l’on voit que c’est un classement de toutes les perversions sexuelles existantes et imaginables, avec des exposés de cas, cas qui, pour la plupart, la plus grande majorité, couvrent l’ensemble du XIXe siècle. Les plus grandes horreurs y apparaissent : amour avec des cadavres, amour pour les excréments... de véritables abominations qui sont chaque fois numérotées, avec des analyses de cas. Et, quand on feuillette ces analyses de cas, on est frappé de ceci que, de temps en temps, dans une analyse - le livre est en allemand, mais il est traduit en français, chez Payot - donc que, dans chaque analyse de cas, au moment qui paraît le plus frappant, la phrase devient latine. Est-ce une véritable manière de cacher ? Si vous considérez que, à l’époque, le moindre lycéen...

... et on verra quel parti on a à en tirer. Il importe sûrement que le sous-titre soit « à l’usage des juristes et des médecins » et que les énoncés du livre comportent des morceaux de phrases en latin. On ne peut pas l’oublier, on ne peut pas le négliger. A part ça, tout est dit, tout est « énoncé ». C’est le livre de l’ère victorienne. Comprenez : qu’est-ce qu’on est en train d’apercevoir ? Si vous en restez aux mots et aux phrases, vous aurez l’impression que quelque chose est caché. Et oui : il y a des mots défendus, et c’est tout le thème du premier chapitre : « nous-autres victoriens », il y a des mots défendus, il y a des phrases métaphorisées. Vous ne parlerez de ceci et de cela que par métaphores. Il y a des propositions réprimées. Foucault ne discute rien de tout ça. Seulement, si vous en restez aux mots, aux phrases et aux propositions, et bien oui, vous allez dire : il y a du caché. C’est que vous n’avez pas su atteindre aux vrais énoncés. De plus l’ère victorienne se définira comment ? Par un véritable « pullulement » des énoncés de sexualité. Et l’on dirait que les mots ne sont interdits, les phrases ne sont métaphorisées, les propositions ne sont réprimées que pour faire pulluler ces énoncés de sexualité.

Et Foucault part à la recherche de ces énoncés : où les chercher ? Où les trouver ? Voyons, faisons la liste.

Dans le premier chapitre. Il découvre un premier foyer des énoncés de sexualité dans quoi ? Dans l’Eglise et la confession et les techniques d’aveu, qui traquent la sexualité y compris la sexualité infantile. Quel prêtre ne sait qu’il y a une sexualité infantile ? Et quel prêtre ne sait que ces manifestations, dès la plus tendre enfance, ne sont déjà le signe du péché originel ? N’importe quel prêtre sait ça. Or les prêtres du XIXe siècle savaient tout ce qu’ils pouvaient savoir à cette époque sur la sexualité infantile. Et, bien plus, Foucault n’aura pas de peine à montrer que ça date d’il y a longtemps, que, depuis le Concile de Trente, l’Église s’est donnée pour tâche de produire des énoncés de sexualité. Bien : voilà donc un premier foyer d’énoncés.

Deuxième foyer au XIXe siècle : le gouvernement. C’est que, on l’a vu la dernière fois, dans le courant du XIXe siècle et déjà au XVIIIe, l’État se lance dans une véritable bio-politique, c’est-à-dire, conçoit, parmi ses fonctions, une véritable gestion de la vie. Gérer et contrôler la vie. Comment voulez-vous qu’il ne s’intéresse pas au phénomène de la sexualité à la ville et dans la campagne, aux coutumes de contraception, à l’évolution de la natalité etc. ? Deuxième foyer.

Troisième foyer : l’école. Il faut vraiment ne pas se reporter aux énoncés nécessaires - vous voyez que la méthode de Foucault là se dessine - il faut être aveugle aux énoncés, il faut ne pas savoir lire, pour croire que à l’école au XIXe siècle, on ne parle pas de sexualité. En un sens on ne fait que ça. Et sans doute c’est pour la « sanctionner », mais on en parlera d’autant plus qu’il faut la sanctionner. Et la surveillance des enfants et le règlement des écoles ne cessent de faire pulluler les énoncés de sexualité, à savoir : pensez à ceci - c’est évident - les conditions de l’internat au XIXe siècle. Il faudrait être idiot pour croire que ne se produit pas, aussi bien chez les élèves, que chez les surveillants, une production incessante d’énoncés de sexualité.

Et Foucault prend particulièrement l’exemple de ce qu’on appelle les mouvements réformistes, en pédagogie, en Allemagne au XIXe siècle, autour notamment d’un grand philanthrope de l’époque qui s’appelait Basedow. Et il raconte le succès de l’éducation sexuelle au XIXe siècle autour de ces mouvements. « Pour montrer le succès de l’éducation sexuelle qu’on donnait aux élèves, Basedow avait convié ce que l’Allemagne pouvait compter de notables (Goethe avait été un des rares à décliner l’invitation). Devant le public rassemblé, un des professeurs pose aux élèves des questions choisies sur les mystères du sexe, de la naissance, de la procréation : il leur fait commenter des gravures qui représentent une femme enceinte, un couple, un berceau. Les réponses sont éclairées, sans honte, ni gêne. Aucun rire malséant ne vient les troubler - sauf justement du côté d’un public adulte, plus enfantin que les enfants eux-mêmes, et que le professeur, sévèrement, réprimande ». On se croit dans un compte-rendu, dans un protocole de 1960, on nous a assez dit, en 1960, qu’avec les cours d’éducation sexuelle et bien c’était les parents qui ricanaient, gênés, et que les enfants écoutaient, très sérieux : bien il faut reculer, c’est en plein XIXe siècle, ça se passait déjà comme ça et Foucault, là, il ne manque pas un effet de style, c’est une phrase signée Foucault : « On applaudit finalement ces garçons joufflus qui, devant les grands, tressent d’un savoir adroit les guirlandes du discours et du sexe. » Alors : qu’est- ce qui m’importe là-dedans ? Retenons, retenons. Trois foyers de production d’énoncés, très indépendants l’un de l’autre : l’Église - avec l’institution du confessionnal, de la confession - la politique d’Etat, l’école. Et il y en a bien d’autres.

D’où peut-être l’idée, qui nous étonnera moins quand on arrivera à ce point - mais dans longtemps - d’où une des thèses fondamentales lorsque Foucault abordera directement la question, à savoir : une de ses grandes thèses : non le pouvoir ne réprime pas, ou ne réprime que secondairement, qu’est-ce qu’il fait ? Il fait quelque chose de beaucoup plus profond et, sans doute, de plus terrible que la répression, il forme, il façonne ; il ne fait pas taire, il fait pire : il fait parler. Il discipline, il normalise. Mais la répression est tout à fait secondaire par rapport aux opérations positives du pouvoir.

Le pouvoir ne réprime pas, il discipline, il gère, il contrôle, il normalise etc. Il ne fait pas taire, il fait parler. Il n’empêche pas d’agir, il fait agir.

En d’autres termes : oui, la sexualité est le secret, seulement voilà : le secret n’est là que pour qu’on en parle, le secret désigne simplement un certain type d’énoncés, une certaine famille d’énoncés, ça ne signifie pas un in-énoncé, un in-énonçable, cela signifie : un type particulier d’énoncés.

Le secret c’est ce dont on parle. Et, la dernière phrase de ce chapitre auquel je me réfère dit en effet : « Ce qui est propre aux sociétés modernes, ce n’est pas qu’elles aient voué le sexe à rester dans l’ombre, c’est qu’elles se soient vouées à en parler toujours en le faisant valoir comme le secret ». En d’autres termes, vous voyez, là, on vient de faire un pas assez considérable. Oui. Si vous en restez - et, sans doute l’exemple de la sexualité était un exemple particulièrement frappant si vous en restez aux mots, vous voyez qu’il y a des mots interdits.

Si vous en restez aux phrases, vous voyez qu’il y a des phrases qu’on ne peut prononcer qu’avec métaphore, que métaphorisées.

Si vous en restez aux propositions, vous voyez qu’il y a des propositions réprimées. Evidemment, mais tout ça ce sont des effets secondaires. Vous pouvez seulement en conclure : les énoncés ne se réduisent pas aux mots, aux phrases, aux propositions. Et si vous avez le moyen, si vous savez vous élever jusqu’aux énoncés, à ce moment-là vous voyez que les énoncés à une époque pullulent et que rien n’est caché. Le secret n’est là que pour se trahir. Même pas pour être trahi, pour se trahir lui-même. Quelle est l’opération du prêtre au confessionnal vis-à-vis d’un petit enfant sinon - par là on voit bien que ce n’est pas réprimé. Il y a longtemps que l’inquisition a toujours dit, et la devise de l’inquisition ça a toujours été : « je ne réprime pas ». Je ne réprime pas, je gère les âmes. Mais ... euh je ne sais plus ce que je disais, enfin vous complétez de vous-mêmes. C’est très important parce que ça nous fait faire un pas, maintenant on peut attaquer la question, qu’est-ce que c’est ... D’accord on vient d’assoir juste et de confirmer ce point, qu’il fallait bien confirmer le plus concrètement possible : l’énoncé s’il existe - on ne sait pas encore ce que c’est - s’il y a des énoncés, ne vous attendez pas à les trouver dans des phrases, des mots, des propositions, des actes de parole. Vous les trouverez où ? Bon, on commence, à ce moment-là on peut élaborer, ou chercher, quelle est la méthode de Foucault. D’où : première idée d’aujourd’hui. Il va y en avoir trois, on n’aura peut-être pas le temps de les finir.

Première idée, première grande idée de Foucault : pour extraire les énoncés qu’est-ce qu’il faut faire ? Je me trouve devant des phrases, des mots, des propositions. Et bien qu’est-ce que je dois faire avec ça ? Eu égard au problème que je pose, eu égard à tel ou tel problème, je dois, nous dit Foucault, former un corpus. Méfiez-vous : le corpus, ce n’est pas un corpus d’énoncés, puisqu’on ne sait pas ce que c’est les énoncés. Le corpus, c’est un corpus de mots, c’est-à-dire un ensemble de mots, de phrases et de propositions et d’actes de parole. Il faut que je parte d’un tel ensemble nommé « corpus ». En effet c’est de ce corpus - vous voyez on fait un progrès minuscule, je ne dis plus maintenant : les énoncés vont être extraits des mots, des phrases et des propositions, avec lesquels ils ne se confondent pas, je dis, ce qui est notablement différent : les énoncés s’extrairont, pourront être extraits, d’un corpus de mots, de phrases et de propositions. La question c’est : qu’est-ce qu’a ajouté le mot « corpus » ? Ça va ? Plus vous aurez l’impression de comprendre, plus on en sera loin, c’est pour ça que c’est très, très important d’aller si lentement, on a juste introduit la notion de corpus et on ne sait pas ce que c’est : « corpus ». Et pourtant on sent bien qu’il y a fort à parler de ça, parce qu’après tout, un corpus, vous voyez ce qu’on en attend.

  • Vous ne pourrez dégager les énoncés d’une époque que si vous avez su former un corpus de mots, de phrases et de propositions effectivement employés, effectivement dites, effectivement proférées à l’époque. Il ne s’agit pas de les former dans votre tête. Il faut que ces phrases aient été dites ou écrites à l’époque. Il faut que ces actes de parole aient été proférés à l’époque. C’est par là que vous êtes historiens, bien plus : archéologues.

Or, qu’est-ce que c’est un corpus ? C’est très intéressant car c’est toute une histoire. Ce n’est pas par hasard que Foucault reprend ce terme. Car là, autant c’est lui qui invente « énoncé » au sens où il va prendre cette notion, autant « corpus », c’est un terme qu’il emprunte et qu’il emprunte à des linguistes. Et sans doute il l’emprunte à des linguistes dont il ne parlera jamais, à ma connaissance, mais c’est sans doute les linguistes dont il est le plus proche. C’est une école très intéressante, très différente de celle de Saussure, une école que l’on appelle « le distributionnalisme » et qui a comme grands représentant Bloomfield et Harris. Et voilà en gros ce que nous disaient Bloomfield et Harris pour fonder leur conception du langage. Ils disaient : vous savez, vous ne pouvez jamais - et c’est par là que ça avait une grande portée linguistique - vous ne pouvez jamais analyser le langage en général, ni même une langue, ce n’est pas vrai, dit-il. Comment on travaille sur le langage ou sur une langue ? Bloomfield montrait très bien que tous les linguistes ont toujours fait comme ça, seulement ils ne le disent pas. Tiens : ils ne le disent pas, mais alors, pourquoi ils ne le disent pas ? Qu’est-ce que ça cache qu’ils ne le disent pas, alors qu’ils le font de toute évidence ? Et bien ce que fait tout linguiste, c’est partir d’un corpus donné, c’est-à-dire partir d’un ensemble déterminé, qui peut être illimité, mais qui n’en est pas moins fini en droit, un ensemble fini de mots, de phrases et de propositions. Et on ne peut pas étudier une langue autrement. Ah ça c’est très intéressant parce que... Dès lors, les distributionnalistes, du type Bloomfield, sont, à ma connaissance, les seuls linguistes à se réclamer explicitement d’un corpus. A savoir : pour étudier une langue, quelle qu’elle soit, il faut partir d’un corpus historique déterminé ou déterminable. Et, dès lors, quel sera l’objet de la linguistique ? Dégager, dans ce corpus, quelles sont les, ce qu’ils appellent - seconde rencontre avec Foucault - ce qu’ils appellent des « régularités ». Dégager les régularités qui concernent les éléments du corpus. Comment ils conçoivent ces régularités ? C’est un tout autre problème. Mais, lorsque Foucault nous dira, dans L’archéologie du savoir, il n’est pas question de découvrir ce qu’est un énoncé, si l’on ne part pas d’un corpus déterminé, corpus de mots, de phrases et de propositions et d’actes de parole, et lorsqu’il nous dira, deuxième point, un énoncé c’est une régularité, au point qu’il parlera de « régularité énonciative », il faut, à cet égard, marquer sa double rencontre avec le distributionnalisme. Ceci dit, deux questions : comment Foucault conçoit-il un corpus ? Deuxième question : de quelle manière conçoit-il une régularité, ce qui définit l’énoncé ? Dégager les régularités d’un corpus, c’est la tâche commune que se proposent Bloomfield et Foucault. Mais, cette tâche commune étant posée, il n’y a plus rien de commun. C’est-à-dire, aux deux questions « comment déterminer le corpus ? » et « comment définir la régularité énonciative ? », les réponses de Foucault n’ont strictement rien à voir avec celles des linguistes distributionnalistes.

Vous comprenez ? Alors, bon, on revient toujours à ça parce que c’est intéressant, ça, pour la linguistique en général. Tout le monde ! De quoi voulez-vous qu’un linguiste parle, sinon d’un corpus déterminé, c’est-à-dire d’un ensemble fini de mots, de phrases et de propositions ? Seulement il ne le dit pas ou il fait comme s’il ne le faisait pas. Pourquoi ? C’est là que c’est tordu, la linguistique. Ce n’est pas bien ça ! Ils cachent le corpus dont ils partent. Pourquoi ? Parce que peut-être qu’ils ont des prétentions formalistes. L’analyse des propositions se réclame d’une formalisation, elle a tout intérêt à cacher son corpus qui est un matériau irréductible. En d’autres termes, l’analyse des propositions s’occupe avant tout de quoi ? D’engendrer des propositions possibles, indépendamment de la question : répondent-elles à des actes de parole, à des phrases qui ont été effectivement formulés. L’analyse propositionnelle ne peut pas faire de différences entre le possible et le réel. Donc, tout en partant d’un corpus réel déterminé, elle fera comme si elle n’en partait pas. La linguistique, sa prétention de s’élever jusqu’à la langue et aux phénomènes du langage même, fait que aussi, elle va occulter le corpus dont elle part.

La psychanalyse, elle aussi, elle part d’un corpus, je dirais : le corpus analytique, c’est l’ensemble des mots et des phrases effectivement formulés par un patient déterminé. Ce que dit le patient. Mais lorsque le patient formule une phrase, il est bien connu que l’analyste y substitue une autre phrase. Bien plus, il est bien connu que l’analyse élaborera, à cette intention, une théorie dite « de la double inscription ». C’est-à-dire : à une phrase inscrite dans le système préconscient, correspond d’après des lois d’interprétation, une autre phrase inscrite dans le système inconscient. Cette théorie de la double inscription est bien célèbre et reprise dans ce qu’on appelle « l’hypothèse topique » chez Freud. Les deux inscriptions, qui correspondent à deux phrases différentes. Dès lors, il est forcé aussi que la psychanalyse, bien qu’elle parte d’un corpus déterminé, fini, ne cesse de cacher ce corpus dont elle part, puisque ce à quoi elle veut arriver c’est à des phrases d’un tout autre type, c’est-à-dire d’un autre niveau d’inscription. Si bien que Foucault peut dire, dans  L’Archéologie du savoir : tous les linguistes ne cessent pas de partir d’un corpus déterminé et fini, mais ils le cachent. Il faut corriger, nous a-t-il semblé, cette thèse de Foucault : oui tous, sauf les distributionnalistes - ça change peu de chose - alors, s’il faut partir d’un corpus et s’il ne faut pas le cacher, au contraire, on ne trouvera les énoncés que si on est en mesure de donner les règles de formation du corpus, de constitution du corpus retenu.

Donc vous avez un problème - ça devient très très concret, si vous voulez que Foucault vous serve à quelque chose pour vos propres travaux à vous - vous avez un problème : la méthode que vous conseillerait Foucault, c’est ceci : en fonction de votre problème, par exemple que ce soit « qu’est-ce que Dieu ? », « qu’est-ce que... » euh,.... alors un problème plus petit, euh... comment, je ne vois pas de problème plus petit... vous suppléez vous-mêmes. « Qu’est-ce qu’un prêtre ? », « qu’est-ce que ceci, qu’est-ce que cela ? ». Vous n’avancerez pas, vous ne pourrez rien énoncer si vous n’avez pas constitué votre corpus historique. Je ne dis pas qu’il faudra en rester à ce corpus, hein - on est dans des étapes extrêmement... - il faut constituer votre corpus historique. Or les corpus « signés » Foucault, c’est très très curieux, parce que, déjà là, il y a toutes sortes de choses qu’il faut que vous sentiez. Ce n’est pas du domaine s’il a raison ou pas. Il faut que vous sentiez son originalité, il faut savoir si cette originalité-là vous convient à vous et, sinon, vous cherchez d’autres auteurs. Parce qu’il y a une marque de Foucault dans la constitution des corpus et c’est par là que ça n’a plus à rien à voir avec Bloomfield. Ce que j’essaie de dire comme ça, je n’ai pas de solution toute faite, mais, Foucault cherche toujours des énoncés, je vais vite - ce que un disciple de Foucault, François Ewald, a appelé des « énoncés sans référence ». Je crois que le mot est assez juste si on explique le goût. C’est très frappant que, dans l’œuvre de Foucault, il éprouve un goût à première vue presque immodéré pour des auteurs très peu connus et même si peu connus que, parfois, ça touche à l’anonymat. C’est presque du niveau, c’est à peine différent, d’un « on dit à telle époque ». On dit à telle époque. Je calcule mes mots parce que on ne pourra en tirer parti que plus tard, mais est-ce que c’est par hasard que Foucault développera ensuite toute une théorie du on comme étant infiniment plus profond que le je et le tu, et s’opposera à toute « personnologie linguistique », du type la personnologie de Benveniste, précisément parce que la troisième personne est la seule vraie personne selon lui.

Bon, donc, en tout cas, là j’ai fait un pas de trop, vous voyez : il faudrait que vous sentiez qu’il ne faut pas du tout aller trop vite, là je retire ce que j’ai dit. Je suis bien content de l’avoir dit, mais je le retire tout de suite. Et je reviens, je me calme. Et je me calme, ça veut dire : bon bien ce corpus, quoi, des énoncés sans référent ? sans référence ? ça veut dire quoi ? En effet il cite assez peu les grands philosophes. On le lui a beaucoup reproché. Ce n’est pas qu’il ne les connaisse pas, il les connaît admirablement. Il ne les cite pas, est-ce que c’est coquetterie ? Il les connaît et même je suppose que son rapport avec les grands philosophes nourrit les nouveaux concepts qu’il forme, à commencer par celui d’énoncé. Et ça n’empêche pas que, quand il constitue un corpus, il ne s’adresse pas aux grands textes. Bien plus, il s’adresse très rarement aux textes des grands hommes, grands philosophes ou autres. Et pourquoi ? Tiens, alors si on procède là par... comme on fait une espèce de recherche, il faut utiliser tout... Il y a un sociologue de la fin du XIXe siècle, qui s’appelle Gabriel Tarde. Il fait une micro-sociologie, ce qu’il appelle lui-même une sociologie de l’infinitésimal, et il présente son entreprise comme ceci, il dit : ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les structures sociales toutes faites et ce ne sont pas non plus les grandes idées des grands hommes. Ce qui m’intéresse, dit-il - là je cite exactement - « ce sont les petites idées des petits hommes ». Bon, d’accord : les petites idées des petits hommes, c’est quoi ? Prenons des exemples empruntés à Tarde pour faire une sociologie de l’infinitésimal, ce qu’on appellerait aujourd’hui une « micro-sociologie ». Il dit : ce qui m’intéresse, c’est comment et quand s’introduit une coutume locale, une nouvelle coutume locale ? ou bien en quel service un fonctionnaire un jour, un fonctionnaire de ministère, a-t-il signé avec un paraphe qui, dix ans après s’imposait dans tout le ministère ? Il a inventé un nouveau type..., quel directeur de bureau a inventé un nouveau type de paraphe ? Il dit : ça, c’est de la micro-sociologie. Quand est-ce que les paysans ont cessé, et à quel endroit ont-ils cessé, et quand ont-ils cessé de saluer le propriétaire ? Tarde, il trouve ça passionnant. Foucault, dans Surveiller et punir, parlera des petites inventions dérisoires et dira qu’il faut les mettre en rapport avec les grandes inventions technologiques. Par exemple qu’après tout la petite invention dérisoire de la voiture cellulaire vaut bien la grande invention technologique de la machine à vapeur. Bien. Un texte très curieux de Foucault s’appelle : La vie des hommes infâmes, et La vie des hommes infâmes, c’est quoi ? C’est un projet de Foucault qu’il n’a pas eu le temps de développer, sauf une fois, et il nous dit très bien ce qu’il veut. Il dit : les hommes infâmes, ce n’est pas les grands hommes, ce n’est pas les grands hommes qui ont atteint à la gloire par le mal. La gloire par le mal par exemple - du moins dans sa légende - la légende de Gilles de Rais, ou la légende de Sade. Ce ne sont pas ces hommes diaboliques légendaires, les hommes infâmes. Et il dit : moi ce qui m’intéresse, dit Foucault, dans ce texte très très curieux, ce sont les petits hommes infâmes. Vous me direz : quelle est la différence entre un grand homme infâme et un petit homme infâme ? Et bien, c’est qu’un petit homme infâme, c’est une existence criminelle, mais banale, qui est tirée à la lumière, un court moment, dans la mesure où elle se heurte au pouvoir. Par exemple : un pervers de quartier, qui à un moment est tiré au niveau d’un fait divers. La vie des hommes infâmes, ça veut dire quoi ? Dans le heurt avec le pouvoir, ces petits hommes infâmes ont éprouvé le besoin de rédiger un placet, une espèce de petite confession. Foucault nous dit : je le prends dans mon corpus. Bon, il le prend dans son corpus. Vous voyez c’est presque, c’est proche d’un murmure anonyme. Foucault s’intéresse aux problèmes de la sexualité, réaction immédiate : il va constituer un corpus des énoncés au XIXème siècle. Ce corpus, on vient de le voir. A qui va-t-il s’adresser ? Est-ce qu’il va s’adresser aux grands penseurs de l’époque ? Non. Est-ce qu’il va aller chercher si Freud avait des précurseurs ? Non. Il va chercher à la lettre ce qu’on pourrait appeler des « textes de nourrices ». D’où le thème de l’archiviste. Il prendra un manuel de nourrices, rien ne vaut un manuel de nourrices si vous voulez savoir ce que c’est que la sexualité au XIXème siècle. Ou bien, il ne prendra même pas Krafft-Ebing, parce que Krafft-Ebing, c’est de la deuxième main. Il ira voir les textes dont Krafft-Ebing tire les cas. Ça peut être des jugements de justice. Ce peut être des rapports d’expertise de médecins. Tout ça, c’est pas des grands penseurs. Rapports d’expertise, manuels de nourrices, jugements de tribunaux. Là aussi, vous comprenez, je dis quelque chose un peu trop tôt. Est-ce qu’on peut dire que l’expert est auteur des énoncés qu’il propose ? Est-ce qu’on peut dire que le juge du tribunal est auteur du jugement ? Non. Lorsque, plus tard, Foucault nous dira : mais vous savez « auteur » c’est une notion très relative et très complexe, il ne faut pas rapporter les phrases à un auteur, peut-être est ce que vous commencez à comprendre ce qu’il veut dire.

De même il dira : « sujet », sujet d’une proposition, sujet d’énonciation, c’est une notion très très floue. Il y a mille manières pour un énoncé de renvoyer à un sujet. Il n’y a pas une manière univoque de renvoyer à un sujet. Il y a mille manières, tout dépend du type d’énoncés. Et de la même manière vous ne pouvez pas dire que le juge qui rend un jugement soit auteur du jugement, vous trouverez un autre mot. Vous ne pouvez pas dire que l’expert qui rend une expertise soit auteur de l’expertise, vous trouverez un autre mot. Mais ces mots auront beaucoup d’importance. Si vous écrivez une lettre, dira Foucault, dans un texte intitulé précisément Qu’est-ce qu’un auteur ?, si vous écrivez une lettre, vous n’êtes pas auteur de la lettre. Vous êtes quoi ? Vous êtes signataire de la lettre. Si vous aimez les mots, il faut tenir tous ces mots. Quand est-ce que l’on dira « vous êtes auteur de la lettre » ? Si vous passez en justice, si c’est une lettre anonyme, si on la considère comme un délit. A ce moment-là, ce sera auteur au sens de : auteur d’un délit. Bon c’est dire que les mots « auteur » ou « sujet » peuvent avoir tellement, tellement de sens que, peut-être... Bon. En tout cas, vous voyez, vous formez votre corpus comme ça, avec des énoncés sans référence, c’est-à-dire qui ne renvoient pas à un auteur, à un auteur déterminé et qui n’ont pas forcément un sujet univoque. Encore une fois, c’est pour ça, euh, je prends comme exemples-clefs - encore que Foucault ne s’y soit pas beaucoup intéressé - des phrases et des textes de nourrices, des actes de paroles de nourrices lorsque deux nourrices se rencontrent et se parlent du gosse dont elles s’occupent respectivement. Bon, vous me direz : mais c’est très bien tout ça, alors quoi ? Il forme son, son... ça suppose qu’on va consulter les archives hein ? D’accord mais... alors il faut une intuition pour former le corpus ? Sans doute, il faut beaucoup d’intuition. L’histoire de la folie est tout entière constitution d’un corpus des énoncés sur la folie au XVIIème siècle et c’est des énoncés qui viennent de quoi ? Des énoncés qui viennent de la police. Des énoncés qui viennent de la médecine du temps. Et, comme dit Foucault - là, à ces moments-là il a des grandes joies même - ces énoncés de la médecine du temps doivent très peu à Descartes. Ce n’est pas que Descartes n’ait pas d’importance - on verra l’importance des penseurs - mais pour le moment, ce n’est pas au niveau du corpus. Ce n’est pas Kant... si, Kant, il pourra peut-être s’introduire dans le corpus, à quel moment ? Par exemple, il s’introduirait très bien au XIXème siècle dans un corpus sur le mariage. Pourquoi ? A ce moment-là, par une de ses œuvres qui sont les moins connues, à savoir une œuvre qui s’appelle précisément Métaphysique du droit. Pas Fondements de la métaphysique du droit, mais Métaphysique du droit, où il reprend des énoncés juridiques courants à l’époque. A ce moment-là, oui, très bien, il fera partie du corpus, mais, sinon, on ira chercher, même pas des grands juristes, on ira chercher tout ce qu’il faut : la nourrice, l’expert, le juge de quartier, tout ça... le gardien de prison... pour voir quels énoncés ils produisent. Mais, vous me direz : alors c’est livré à l’intuition ? Et bien non ! Non, il y a un petit point méthodologique. On ne pourra pas le pousser, mais il faut le dire, pour l’avenir, la méthode c’est quoi ? Il faut bien, pour former mon corpus de phrases, de propositions, de mots, que j’aie une règle qui ne suppose pas les mots, les phrases et les propositions, qui s’adresse à une autre dimension, comprenez. Je n’ai pas le choix. A moins que vous trouviez une autre, ça c’est possible, à ce moment-là vous quitterez Foucault à ce moment-là. L’idée de Foucault, mais il lui faudra du temps... Est-ce qu’il l’avait dès le début ? Tout ça c’est des problèmes qui finalement ne me paraissent pas tellement importants... il l’avait à moitié, pas tout à fait, un peu, beaucoup... tout ce que vous voulez. Mais il n’arrivera à la tirer au clair que peu à peu. C’est quoi ? Pour savoir à quel ensemble de phrases, d’énoncés... ensemble très divers puisque des phrases de nourrices, des phrases d’experts, des phrases de juges, des phrases d’écoliers, des phrases de professeurs etc., pour former un corpus de sexualité au XIXème siècle, et bien il faut vous adresser à quelque chose qui n’est ni mot, ni phrase ni quoi que ce soit ; ni énoncé, puisque, ce qu’on cherche, c’est : qu’est-ce que c’est qu’un énoncé. Et bien la réponse de Foucault, si je la donne brutalement lorsqu’il la possède pleinement, ce sera :

  • il faut que vous vous

fixiez les foyers de pouvoir, qui sont producteurs de telles phrases, autour desquels les mots, les phrases, les propositions s’organisent.

Vous voyez, là il donne une réponse très très intéressante. Mais est-ce qu’il pouvait la donner dès le début ? Le fait est qu’il ne la donne pas explicitement dans  L’Archéologie du savoir. On a l’impression, dans L’Archéologie du savoir, on a un doute ; On a l’impression que le choix du corpus est livré à l’intuition, bien que, on se dise que non, il a une méthode. Il a déjà une méthode, mais cette méthode il ne la dit pas. En revanche, dans La volonté de savoir, la méthode éclate. Je la décompose : il se demande quels sont les foyers de pouvoir concernés par la sexualité au XIXe siècle. Vous voyez : ce qui importe, c’est que, dans cette question, nulle référence n’est faite à des mots à des phrases, à des propositions, à des actes de parole. C’est une question, donc, qui concerne les foyers de pouvoir. J’ajoute immédiatement car, sinon, ça n’aurait pas de sens, la méthode serait évidemment mauvaise : foyers de pouvoir et de résistance.

Quels sont les foyers de pouvoir et de résistance au pouvoir que la sexualité concerne ? Réponse, on l’a vu, ce n’est pas une réponse exhaustive, peut-être qu’il y en a d’autres, on se contentera d’une certaine énumération : l’Église sous l’aspect de la confession, le gouvernement sous l’aspect de la gestion de la vie d’une population...

Dès lors, comprenez, là on tient vraiment une méthode. Si vous avez déterminé les foyers de pouvoir concernés par une question, vous pouvez former le corpus des mots, des phrases et des propositions et des actes de parole correspondants. Vous allez retenir, dès lors, les énoncés courants au XIXème siècle de l’école, de la gestion politique de la vie et de la confession. Nécessité pour vous, dès lors, non pas de chercher de grands auteurs, mais de vous précipiter sur les manuels de confession, au besoin d’aller voir les traités dits « de casuistique », la casuistique étant grandement précisément occupée par le problème de la sexualité dans ses rapports avec l’aveu : quelles questions poser pour traquer la sexualité chez le pénitent, chez le fidèle ? Bon et, dès lors, vous aurez votre corpus de mots, de phrases et de propositions. Mais, si votre problème ce n’est pas la sexualité, mais si c’est la folie, il faudra toujours que vous constituiez un corpus de base. Si vous n’avez pas constitué votre corpus, vous ne pouvez pas avancer, Foucault dirait : votre étude ne sera pas sérieuse. C’est une drôle de méthode. Vous comprenez, en même temps, c’est vraiment une méthode qui lui appartient ça. Je crois que, une des raisons pour lesquelles, il passera - si on repose la question de l’évolution - de l’étude du domaine du savoir à l’étude du domaine du pouvoir, c’est que déjà au niveau du savoir et de « qu’est-ce qu’un énoncé ? », il ne pouvait méthodologiquement constituer les corpus dont il avait besoin qu’en se donnant des foyers de pouvoir et de résistance au pouvoir. C’était ça les indices des endroits où il fallait chercher, des lieux où il fallait chercher les mots, les phrases et les propositions en usage à une époque. Donc, dès lors, il a un corpus, par exemple le corpus des énoncés de sexualité au XIXème siècle. Je dirais : tout le livre de Krafft-Ebing, la Psychopathia sexualis, est un recueil, est déjà un sous-corpus. C’est un corpus qui appartient au plus grand corpus.

À partir de là, alors là on peut faire une pause, de deux choses l’une même. Ou bien, vous allez dire - et moi je penche tout à fait vers cela - et bien oui, il s’est donné les moyens de constituer des corpus, c’est-à-dire, il a rempli son programme, dont le premier degré était : comment constituer un corpus d’où on pourra extraire des énoncés ? Ou bien vous avez une réaction et vous vous dites : non, il y a quelque chose qui ne va pas, cette méthode ne suffit pas encore. Vous pouvez même vous dire plein de choses. Vous pouvez vous dire : oh ben non, moi, je pose des problèmes indépendamment d’un corpus. Oh, c’est votre droit, essayez : à ce moment-là il vous faudra une autre méthode. Ou bien vous vous dites : oui, je suis d’accord, il faut un corpus pour poser un problème, mais vous ne vous sentez pas d’accord avec la manière dont Foucault détermine ses corpus. A charge pour vous de vous réclamer d’une autre méthode, par exemple celle de Bloomfield, qui constitue des corpus tout autrement que Foucault. Voilà. Ou bien, chose devant laquelle je recule, vous vous dites : oh ben non, c’est pas du tout ça ! Foucault, c’est pas ce qui dit, à ce moment-là ça me concerne moi et ça me fait trop de peine donc je n’en tiens pas compte. Voilà. D’accord ? Vous avez compris ? Encore une fois c’est....

Alors là on peut en effet se dire : bon et bien on lui accorde son corpus. Encore une fois ce n’est pas un corpus d’énoncés. Puisque la grande thèse c’est : si vous avez constitué un corpus, alors, peut-être, vous allez pouvoir en dégager ; Puisque vous ne pouviez pas dégager des phrases, des propositions etc., traités hors-corpus, vous allez peut-être pouvoir dégager du corpus des instances qu’il faudra appeler des énoncés. Donc : qu’est-ce qu’un énoncé ? Il n’y a pas de réponse possible à cette question si vous n’avez pas d’abord constitué un corpus de mots, de phrases, de propositions tenus, effectivement tenus, à une époque donnée. (coupure)

Ça ne dit pas exactement comment faire un corpus. Oui et non. Quand vous vous proposez de faire un corpus, vous pouvez toujours le rater. Je veux dire quoi ? Vous vous proposez - je reviens toujours à cet exemple clair - corpus de la sexualité au XIXème siècle. Vous avez fixé, première chose, vous fixez vos foyers de pouvoir et de résistance, et il en découle des directions de corpus : aller voir du côté des nourrices, aller voir du côté des prêtres et des casuistes, aller voir du côté des préfets qui font du contrôle de population à l’époque, aller voir du côté des écoles, des mouvements philanthropiques réformateurs de l’école etc. Mais là, il va de soi que vous devez être sensibles, par exemple, à soit l’apparition de nouveaux mots, soit à l’emploi nouveau de mots déjà anciens. Je prends un exemple : vous faites un corpus, vous cherchez un corpus de la folie au XIXème siècle. Vous tombez sur certains textes de médecins qui emploient le mot « paranoia », bon. Vous tombez sur d’autres textes de médecins qui emploient le mot « monomanie ». Ce mot il a une date d’apparition, sans doute date d’apparition renvoie un grand auteur, celui qui, par exemple, a isolé la première fois « monomanie » - dans le cas précis, c’est Esquirol. Bon, mais ce qui vous intéresse encore plus ce n’est pas que ce soit Esquirol, c’est l’usage courant du mot « monomanie » au XIXème siècle. Donc vous avez certains mots-clefs, des mots-phares, et puis vous avez des types d’énoncés... non je ne dis pas encore « énoncés » : vous avez des types de phrases. Par exemple, je prends un exemple qui est dans Foucault lui-même, dans L’Histoire de la folie. Voilà une phrase, c’est même un slogan, on peut concevoir des manifestations avec ce slogan : « les fous à l’asile ». C’est une phrase. Là on va voir à merveille que, si c’est une phrase, ce n’est pas un énoncé. On peut montrer que c’est une phrase, bien qu’il n’y ait pas de verbe, ça, l’analyse propositionnelle le fait facilement.

Les fous à l’asile. Bon, voilà, en quel sens fait-elle partie d’un corpus ? A mon avis elle fait partie au moins de trois corpus et trois corpus tout à fait différents.

  • Premier corpus : « les fous à l’asile » signifie : il ne faut pas mélanger les fous et les vagabonds, car les vagabonds ne le méritent pas. Les vagabonds méritent un traitement spécial qui doit les distinguer des fous. C’est une honte pour les vagabonds de les mettre dans les mêmes lieux que les fous. Parce que, d’abord, ils ont peur, ils risquent de subir les crises violentes des fous, etc. Vous voyez. Je dirais, pour la phrase « les fous à l’asile », voilà un premier énoncé. L’énoncé c’est : séparons les fous et les vagabonds car il est injuste de mettre les vagabonds avec des fous. Voilà : premier énoncé.
  • Deuxième énoncé pour la même phrase : « les fous à l’asile », cette fois-ci, signifie juste le contraire. Il faut séparer les fous et les vagabonds, car les fous méritent des soins spéciaux. Cette fois-ci c’est au nom des fous qu’on réclame la séparation des fous avec les vagabonds. C’est un autre énoncé.
  • Troisième cas - là j’anticipe, il n’était pas envisagé par Foucault, mais ça n’a pas d’importance - troisième cas : manifestation réactionnaire aujourd’hui. « Les fous à l’asile », ça signifie : reformons les vieux asiles et arrêtons les thérapies de quartier, reconstituons le vieil asile. C’est une proposition qu’on pourra dire réactionnaire quant à l’évolution des rapports avec la folie, c’est-à-dire : à bas la sectorisation, retour aux vieux asiles. C’est un troisième énoncé. On s’en tient aux deux premiers :
  • le premier : séparer les fous d’avec les vagabonds car les vagabonds ne méritent pas d’être mélangés aux fous, c’est ce qu’on dit déjà assez couramment au XVIIIème siècle. - L’autre énoncé : séparer les vagabonds et les fous parce que les fous méritent des soins spéciaux, cette fois-ci la séparation se fait en faveur des fous, c’est un énoncé que n’apparaît que au XIXème siècle.

Je dirais : les deux ne font pas partie du même corpus. Les deux appartiennent bien à un corpus de la folie, ils ne font pas partie du même régime d’énoncé. Les uns, le premier appartient à corpus XVIIIème siècle, l’autre appartient à un corpus XIXème siècle. Alors j’insiste toujours là-dessus, vous comprenez ; voyez en quel sens je dirais : oui, bien sûr, il y a une évolution de Foucault. Encore une fois, pour comprendre ce qu’il appelle « les foyers de pouvoir et de résistance », il faudra attendre Surveiller et punir et La volonté de savoir. Mais, dès L’Archéologie, la détermination d’un corpus que réclame l’archéologie ne peut se faire que si l’on fait déjà intervenir de tels foyers. Vous me direz ! Mais alors il les fait déjà intervenir dans L’Archéologie, comment est-ce qu’il les appelle ? Très bien, comment est-ce qu’il les appelle ? Si on trouve ça on aura au moins une hypothèse sur les transformations de Foucault. Et est-ce que la première appellation dans L’Archéologie gardera un sens ensuite ? A mon avis oui. Il les appelle et il leur donne un nom très particulier - et ça on ne pourra le comprendre que plus tard - il les appelle des « singularités ».

Pour constituer un corpus, il faut d’abord avoir fixé un certain nombre de singularités. Ces singularités, c’est ce qu’il découvrira plus tard comme étant les foyers de pouvoir et de résistance. Pourquoi est-ce qu’il appelle cela des singularités ? Là je serais perdu, je ne le considère pas. Je ne le considère pas pour le moment. On ne pourra le voir que lorsque l’on saura déjà ce que c’est qu’un énoncé. Mais donc voilà, je vous dis bien sûr, il ne s’agit pas « d’appliquer », vous n’aurez pas des corpus en appliquant les règles de Foucault, il faut y mettre de l’invention, c’est une méthode d’invention, c’est des règles d’invention. Donc, ce qu’il vous propose, c’est de constituer vos problèmes - un champ problématique, ce sera quoi ? Et bien la première détermination d’un champ problématique, ce sera la constitution du corpus correspondant. D’où, j’en ai fini avec le premier point. Je ne me trouve plus devant l’immensité, l’infinité, de ce qui est dit à une époque, je me trouve devant des corpus spécialisés. A la limite, je me trouve devant le corpus de l’époque. Si grand soit-il, ce sera, en droit, un nombre fini de de mots, de phrases et de propositions et d’actes de parole.

D’où, deuxième point ; vous voyez, notre tâche elle est toute tracée : comment va-t-on en extraire des énoncés ? Comment va-t-on en extraire des énoncés ? Notre seul acquis c’est : pour pouvoir, pour avoir la moindre chance d’extraire les énoncés à partir des mots, des phrases et des propositions, encore fallait-il avoir constitué un corpus spécialisé. Second pas de Foucault : ce corpus spécialisé me permet... Il n’y a que trois pas, alors... et le deuxième pas, je le dis tout de suite, mais il m’intéresse beaucoup, il va avoir l’air très décevant. Mais justement, plus ça a l’air décevant, mieux c’est. Et puis le troisième pas va être lumineux. Le deuxième pas, c’est ceci : Foucault nous dit, finalement un corpus implique une certaine manière d’être du langage tout entier. Je veux dire : ça paraît décevant puisqu’on tenait la notion très spécialisée de corpus et on débouche sur des considérations sur le langage tout entier, dont on croyait que le corpus était fait pour les conjurer. Aussi il faut se demander ce que Foucault veut dire. Foucault dit : oui et bien dans L’archéologie du savoir, là je groupe les textes, p.145-148, texte essentiel sur : il faut prendre conscience de ceci : il y a du langage, le « il y a » du langage, le langage est un « il y a ». Qu’est-ce qu’il veut dire par pareille chose ? Dans Les mots et les choses, livre antérieur à L’Archéologie, je crois qu’il y avait déjà la même idée, mais sous un autre nom, ce n’était plus le « il y a » du langage, c’était « l’être du langage ». C’est une expression insolite, un être du langage, cette fois-ci p.57-59, 316-318, 395-397. Comment oublier que, chez Husserl et chez Merleau-Ponty, vous trouvez une expression insolite : l’être-langage (avec un petit tiret), un être-langage, l’être du langage, le « il y a » du langage. Bon, qu’est-ce que ça veut dire ça ? Dans le texte de L’Archéologie du savoir, Foucault nous donne une indication précieuse. Il dit : de même que ses prédécesseurs, selon lui, ont raté le corpus, ils ont raté le « il y a » du langage, comme si les deux étaient strictement corrélatifs. Pourquoi est-ce qu’ils ont raté le « il y a » du langage, ou l’être-langage ? Selon Foucault, les prédécesseurs de Foucault ont raté cet être-langage ou ce « il y a » du langage. Pourquoi ? Parce qu’ils se sont intéressés aux directions que le langage propose et non pas à la dimension dans laquelle il se donne. A force de s’intéresser et de suivre une des directions que le langage propose, on a oublié et on a négligé la dimension dans laquelle un langage se donne, sous la forme d’un « il y a » du langage, ou sous la forme d’un être-langage.

Et qu’est-ce que c’est qu’une direction que le langage propose ? Et bien, tantôt, c’est le fait que le langage « désigne », c’est le rapport de désignation. Tantôt, c’est le rapport de signification, le fait que le langage signifie. Tantôt, c’est le fait que le langage soit lui-même composé d’unités dites signifiantes.

Vous voyez, c’est très important, le signifiant fait partie, et fait seulement partie, selon Foucault, des directions que le langage propose. Donc, lorsque certains linguistes définiront le langage par le signifiant, ils ne feront que définir le langage par une de ses directions, au lieu d’atteindre à la dimension dans laquelle le langage se donne.

Donc je peux dire : la désignation, la signification, le signifiant, sont uniquement des directions que le langage propose et non pas la dimension dans laquelle il se manifeste sous la forme d’un « il y a », ou sous la forme d’un être-langage.

Alors, qu’est-ce que c’est cette dimension ? Par-là, à nouveau, vous voyez qu’il multiplie ses ruptures avec la linguistique. Il peut dire en gros, de toute la linguistique, qu’elle n’a tenu compte que des directions et pas la dimension. Alors, bon, qu’est-ce que c’est la dimension, dans laquelle le langage se donne, sous la forme et en tant que « il y a », un « il y a » ? Là je résume, à vous de voir les textes. Je crois qu’il veut dire ceci : c’est que, à la limite, il emploiera, dans Les mots et les choses, l’expression « un rassemblement du langage ». C’est rare, il faut marquer le mot, il est sûrement important, parce que Foucault est un auteur qui a longtemps parié sur le contraire du rassemblement. C’est un auteur qui ne cesse d’expliquer que les choses n’existent qu’à l’état dispersé, disséminé. S’il emploie le mot « rassemblement », dans ce texte, dans ces textes Des mots et les choses, c’est donc qu’il a une raison importante. Un rassemblement du langage, l’être-langage c’est un rassemblement du langage. Ça veut dire quoi ? Et bien, contrairement à ce qui se passe chez Husserl ou chez Merleau-Ponty, l’être-langage ou l’être du langage est encore historique, c’est-à-dire, l’être-langage est toujours un mode d’être, une façon de rassembler le langage, et une façon de rassembler langage propre à une époque, c’est-à-dire propre à une formation historique. Tout se passe comme si chaque formation historique avait sa manière de rassembler le langage en un « il y a le langage ». C’est intéressant, parce que ça ouvre un nouveau domaine d’études comparatives. On pourra distinguer les grandes formations historiques, entre autres, pas seulement, mais, entre autres, par leur manière de rassembler le langage. Le langage, le « il y a langage », le « il y a du langage » ne sera jamais séparable de tel ou tel mode qu’il prend sur telle formation historique.

Vous me direz : mais enfin des exemples ! Soit, toujours des exemples. Les mots et les choses considère deux modes d’être historique du langage, de l’être-langage, au XVIIe siècle et à la fin du XIXe et au XXe. Ça doit pouvoir nous donner une idée, ça doit suffire pour nous donner une idée. Et qu’est-ce qu’il nous dit ? Comprenez. On ne peut même plus répondre : oui, ce qui définit le mode d’être du langage, c’est la linguistique. Non, puisqu’on a vu que la linguistique s’investissait dans les directions et pas dans cette dimension selon laquelle le langage se donne. Disons alors des choses très vagues - parce que ce serait des analyses qui nous prendraient vraiment... on y perdrait notre problème « qu’est-ce qu’un énoncé ? » - j’essaie de vous suggérer, à vous d’aller voir si ça vous plaît cette idée, Foucault pense, il me semble, que l’âge classique, c’est-à-dire la formation historique XVIIe, et bien, sur cette formation, à cet âge classique, le langage se rassemble d’une certaine manière, sur un certain mode. Bien plus, entre les deux modes, le mode classique du XVIIe et le mode moderne, fin du XIXe début XXe, Foucault dira - c’est donc que le thème est important pour lui - l’homme - certains connaissent, on aura l’occasion de revenir dessus, le fameux thème de la mort de l’homme chez Foucault - l’homme est une existence entre ces deux modes d’être. C’est-à-dire : l’homme est une existence transitoire, vacillante, entre deux modes d’être du langage : le mode d’être classique du XVIIe siècle, le mode d’être moderne, fin XIXe, début XXe. L’homme a existé entre ces deux modes d’être. Qu’est-ce qu’il peut vouloir dire ? Comme toujours, on n’est pas pressé, mais enfin, j’essaie de dire, c’est très... comment le..., à supposer que chaque époque rassemble le langage d’une manière qui lui est propre, comment opère le XVIIe siècle ? Foucault dira : il rassemble le langage dans la représentation. Et là, je n’ai pas le temps, c’est toute l’analyse de la théorie du langage au XVIIe siècle, que Foucault fait dans Les mots et les choses, qui va confirmer cette idée : le langage apparaît au XVIIe siècle comme la nervure, le quadrillage de la représentation. Si bien que, c’est dans la représentation que le langage se rassemble et manifeste son être-langage ou son « il y a langage », son « il y a du langage ». C’est la représentation qui constitue la dimension selon laquelle le langage se donne, et non plus une de ses directions.

Et c’est si vrai que, en effet, la désignation, la signification etc. vont être des dépendances de la représentation pour la pensée classique. Bon, il s’agit juste de vous faire pressentir des choses. Au XIXe siècle, qu’est-ce qui se passe ? Fin XIXe.. là ça fait partie des grandes tâches des Mots et les choses, quand il commence à parler de ce qui se passe pour nous, dits « modernes » ; il invoque deux auteurs, dans ces textes, comme étant fondamentaux pour un nouvel être-langage : Nietzsche et Mallarmé. C’est curieux puisque, pour une fois, il invoque de grands auteurs. Il y joint Artaud. Donc, il fait une trinité de grands auteurs. Et qu’est-ce qu’il nous dit ? Il nous dit : la linguistique du XIXème siècle a démembré le langage, donc ce n’est évidemment pas dans la linguistique qu’on va chercher l’être-langage, c’est-à-dire le rassemblement du langage. Elle a démembré le langage, d’une part, en langues irréductibles ou en grandes familles de langues irréductibles, d’autre part elle l’a démembré d’après les directions du langage : désignations, significations, signifiants. Donc ce n’est pas la linguistique qui peut nous répondre, à aucun moment. Qu’est-ce qui opère le rassemblement du langage à partir du XIXe siècle ? Foucault répond : non plus la représentation, mais quelque chose de très différent : la littérature. C’est la fonction de la littérature. Et la littérature prend une fonction qu’elle n’avait pas. Bien sûr il y avait une littérature avant - vous voyez tout de suite l’objection, il faut se garder des objections parce que c’est bête - la littérature, il y avait une littérature au XVIIe siècle ? Oui il y avait une littérature, mais elle n’avait absolument pas la spécificité d’un pouvoir qu’elle a prise seulement à la fin du XIXe. Vers la fin du XIXe siècle, « littérature » change de sens, est un mot qui change de sens. Et pourquoi ? Parce que la littérature devient, à ce moment-là, la manière de rassembler le langage « en dehors » de toute représentation possible. Et c’est la tentative de Mallarmé : rassembler le langage en dehors de toute représentation. L’absence de représentation étant désignée par Mallarmé comme « inanité sonore ». L’être du mot, l’être du mot découvert comme inanité sonore, ou, pour ceux qui connaissent un peu Mallarmé, désigné par d’aussi splendides expressions que Mallarmé fait pulluler, accumule... Mais sentez que, avec Mallarmé, en effet c’est le cas le plus clair, se fait un rassemblement du langage hors de toute représentation, la littérature devient la puissance non représentative qui rassembler le langage d’une tout autre manière, dans un être-langage opaque qui n’avait pas d’équivalent au XVIIe siècle, car au XVIIe siècle, c’était la représentation qui opérait le rassemblement de la littérature. Et là vous pouvez voir, pour ceux qui le connaissent, vous pouvez voir une nouvelle rencontre Foucault - Blanchot, puisque c’est exactement comme ça que Blanchot définira la littérature moderne : par sa découverte d’un être-langage, irréductible à la désignation, à la signification etc. et dont il fait de Mallarmé un des plus grands instigateurs, un des plus grands initiateurs. La littérature abandonne toute exigence de la représentation pour rassembler un langage opaque, irréductible à toute représentation et le faire jouer comme, réellement, totalité du langage. Rassembler tout le langage. Si vous pensez à des auteurs qui sont pour nous les plus importants, il va de soi qu’une entreprise comme celle de Joyce ne peut se comprendre que sur le fond d’un horizon mallarméen, qui prétend découvrir dans la littérature, dans la nouvelle fonction de la littérature, le « il y a » du langage, le rassemblement du langage lié à notre formation historique.

Donc, qu’est-ce qu’on va faire... accorder ça... euh le peu que j’ai dit c’est uniquement pour que ... c’est pas du tout des définitions, c’est un nouveau thème. Je voudrais juste que vous évaluiez l’importance de ce nouveau thème. Et je dis bien que, à mon avis, l’étude : les types du rassemblement du langage reste, chez Foucault, à peine esquissée et à peine esquissée pour deux cas : la formation historique du XVIIème siècle, qui rassemble le langage dans la représentation, et la formation historique du XIXème - XXème qui rassemble le langage dans la littérature. C’est donc une tâche qui est largement à poursuivre. Sauf que, peut-être, Blanchot l’a poussée particulièrement en ce qui concerne la littérature dans sa fonction moderne. Mais, moi, ce qui m’intéresse, c’est la conclusion immédiate qui en sort. Voyez en quel sens on progresse, mais, en même temps, ça paraît décevant, encore une fois. On progresse parce que, maintenant, nous pouvons dire : quand nous avons constitué un corpus, plus ou moins étendu mais toujours fini, nous pouvons conclure de ce corpus un être-langage, c’est-à-dire une manière dont le langage se rassemble en fonction de ce corpus, ou, à la limite, en fonction de toute la formation historique, c’est-à-dire en fonction de l’ensemble des corpus de telle formation historique.

Vous voyez : notre premier pas, c’était - ça se dessine comme méthode -

notre premier pas, c’était : une fois dit que vous vous trouvez devant des phrases et des mots d’une époque, vous n’aurez rien si vous n’avez pas constitué, si vous ne savez pas constituer le corpus, corpus relatif à tel ou tel problème que vous posez, il n’y a pas de corpus absolu, tout corpus est relatif. Deuxième étape ; relatif à ce corpus, vous définirez : une manière dont le langage se rassemble dans ce corpus, c’est-à-dire un mode d’être du langage, et, à la limite, si vous considérez de plus en plus de corpus d’une époque, la manière dont le langage se rassemble dans une formation historique, c’est-à-dire dans une époque. Voilà : c’est la seconde condition.

J’ai un problème : si vous vous sentez abrutis, je vais continuer avec des choses faciles. Si vous n’êtes pas abrutis, je continue là avec quelque chose où il me faut votre attention. Alors moi, ça m’est égal, parce que je prévois, et votre intelligence et vos défaillances, mais il faut me le dire, parce que euh, bon. Je vois que je peux continuer dans le difficile.... Quoi que ça ne soit pas très difficile. D’où la conclusion que Foucault en tirera concernant ce deuxième aspect, l’être-langage ou le rassemblement du langage. S’il y a une dimension du langage qui excède toutes les directions linguistiques, ah ? C’est exactement ça. La linguistique présuppose. Non seulement elle présuppose des corpus, mais du coup elle présuppose qu’il y a du langage. Et c’est ça que la linguistique n’arrive pas à traiter : le « il y a » du langage ou l’être-langage. Et bien, s’il en est ainsi, s’il y a du langage, s’il y a une dimension irréductible à toutes les directions, il va de soi qu’on ne peut pas faire commencer le langage. Il n’est pas question de faire commencer le langage. Vous me direz : oh, ben ça va de soi. Rien du tout ! Ça ne va pas de soi. Du moins ça ne va pas de soi tel que l’entend Foucault. Ça ne va pas de soi du tout, car on n’arrête pas de faire commencer le langage. Et Foucault ne veut pas qu’on fasse commencer le langage. Tout ce que Foucault dira c’est : « il y a de tout temps un être-langage, c’est-à-dire une manière dont le langage se rassemble en fonction de chaque époque historique ». Tout ce qu’on peut dire c’est que l’être-langage varie, puisqu’il est historique, mais il ne commence pas, il n’a pas de commencement. Là encore il récuse tout problème d’origine. Vous me direz : ça va de soi. Et je vous réponds : non, ça ne va pas de soi. « On ne fera pas commencer le langage ». Contre qui il en a ? Contre tout le monde ! Car, à ma connaissance, il y a trois manières dont on essaye de faire commencer le langage. Et, à ces trois manières correspondent trois formules célèbres.

La première formule, c’est : je parle. Quand on pense que « je parle » nous dit quelque chose d’essentiel, on fait commencer le langage.

La seconde formule - elle est non moins célèbre - c’est : ça parle. Qui a pu dire une chose comme ça ? Mais enfin ça été dit. « Ça parle », c’est aussi une manière de faire commencer le langage.

Et puis il y a une troisième manière - il faudrait leur assigner des instruments de musique à ces trois manières, je les entends - la troisième, c’est la petite flûte, c’est : le monde parle. Combien plus modeste en apparence, combien plus ambitieuse en réalité ? mais, selon Foucault, également pernicieuse. « Le monde parle ».

Et Foucault ne veut d’aucune... Alors qu’est-ce qu’il va dire ? Quelle est la formule qui répond à « il y a du langage » ou l’être-langage ? Foucault tient sa formule, à charge pour lui de montrer qu’elle ne se confond avec aucune des trois autres. Chez lui « on parle », ou « ils parlent », ce qu’il appelle « le murmure anonyme ». Le murmure anonyme. Et il ne cessera de se réclamer du murmure anonyme, il demandera juste qu’on lui fasse une place dans le murmure anonyme. Et il invoquera le plus grand créateur de murmure anonyme, à savoir Beckett, en disant que ce serait trop beau pour lui si son discours à lui, Foucault, venait prendre une petite place dans le discours des personnages de Beckett, dont chacun sait que ce ne sont pas des « je », ne sont pas des mondes et ne sont pas des « ça ». Alors, bien. Quelle différence ? Vous me direz : il n’y a pas de quoi se battre, hein, entre « ça parle », « on parle », « le monde parle »... oui, si vous n’aimez pas la philosophie, c’est pas important. Si vous faites de la philosophie, vous vous dites : peut-être qu’il y a de grandes différences entre ces formules. Mettons que ce soit des énoncés. « Je parle », ça veut dire quoi ? Ça veut dire le langage commence avec celui qui dit « je ». Qui est « je » ? C’est celui qui le dit. Est « je » celui qui le dit, est « je » celui qui dit « je ». En d’autres termes, je est un embrayeur. Ceux qui n’ont pas fait du tout de linguistique, vous laissez tomber. Vous vous laissez bercer par les mots. Ceux qui en ont fait très peu, il ne faut pas en avoir fait beaucoup, c’est un shifter, un embrayeur. À savoir, quand je dis : est « je » celui qui le dit, j’ai défini le premier des shifters, le premier des embrayeurs. « Je parle » est l’embrayeur du langage. Le langage commence avec quoi ? Le langage commence avec ces shifters, ou ces embrayeurs, c’est ce qu’on appellera « une personnologie linguistique », qui engendre, sinon le langage, du moins, l’acte du langage, ou le discours, à partir des deux personnes linguistiques. Les deux personnes réelles linguistiques étant le je et le tu. C’est la personnologie linguistique de Benveniste. « Je parle ». D’accord ? Reportez-vous à Benveniste, Problèmes de linguistique générale, au chapitre sur les embrayeurs, éditions Gallimard. Mais vous devez avoir lu déjà tout ça depuis longtemps... Ah non ! C’est vrai : il y a des « premier cycle »... euh, vous ne... non... enfin ça n’a aucune importance. Bon, mais c’est très beau, Benveniste. Voilà. Vous voyez ça ? Bien. C’est une manière de faire commencer le langage, c’est très intéressant la théorie des embrayeurs. Chez Jakobson, vous trouverez de longs articles sur le rôle des embrayeurs.

Deuxième proposition : « ça parle », c’est quoi ça ? C’est une manière de faire commencer le langage encore, pourquoi ? Parce que, cette fois-ci, le langage commence à partir d’un moment qui est assignable, qui n’est plus celui qui dit « je », le premier qui dit « je ». Parce que, dans le cas de Benveniste, il s’agit bien d’être le premier à dire « je », puisque est « je » celui qui le dit. Si je le dis avant vous : c’est moi, il faudra que vous attendiez, puisqu’on ne peut pas parler tous ensemble. Donc il y a intérêt à parler très vite, quand on dit « Je parle », tandis que, si on dit « on parle », il n’y a pas à se presser.

(Coupure)

... rassemble l’être-langage dans la représentation. (et c’est Phèdre, mettons ( ?)). Non, c’est une autre fonction de la littérature. Pourtant c’est un spectacle, oui, ce qu’il nous présente, c’est, vraiment l’être-langage hors de la représentation. Le murmure anonyme. Le fantastique murmure. Le « on parle ». Mais enfin peu importe, alors : « ça parle », c’est une manière de faire commencer le langage, autrement que le « je parle ».

Cette fois-ci, on dira : le langage commence avec le signifiant. Et c’est bien ce que veut dire celui qui a dit « ça parle ». Le langage commence avec le signifiant et comme il y a du signifiant dans l’inconscient et comme l’inconscient est signifiant, l’inconscient est structuré comme un langage. Ah ?

Et puis il y a ceux qui disent « le monde parle », troisième manière de faire commencer le langage. C’est comme si le monde disposait en silence d’un sens muet. Le monde a un sens muet et il appartient au langage de faire lever ce sens, de recueillir ce sens. Le logos est langage qui recueille. Il ne s’agit plus du rassemblement du langage. Il s’agit du langage en tant qu’il rassemble le sens muet du monde. Le langage ou le logos en tant que recueil du sens muet des choses du monde. Vous trouvez ce thème chez Husserl, puis chez Heidegger, qui le développera d’une manière particulière, très particulière, et repris développé de manière très originale par Merleau-Ponty, dans ses œuvres de la fin et notamment dans Le visible et l’invisible. Si bien que le langage, d’une certaine manière, ne fait que porter à l’explicite, le sens muet qui est déjà dans les choses. Le langage s’adosse au sens muet du monde, il s’adosse à une mutité pleine de sens. Il va être développement du sens du monde, si bien que, à travers le langage, c’est le monde qui parle. Le langage commence à la frontière du monde et des mots. C’est l’idée de Merleau-Ponty. Or ces trois thèmes, par exemple dans un petit texte de Foucault, L’Ordre du discours, ces trois thèmes seront récusés avec une grande violence... violence non, avec une grande force. Et Foucault y substitue... alors comprenez que, à ce moment-là, en effet, c’est très très différent. Car, si je traduis en Foucault, la première formule, « je parle », réduit le langage à une direction, la direction des embrayeurs c’est-à-dire la direction du sujet qui parle. La deuxième, le « ça parle », réduit le langage à une de ses directions, la direction du signifiant. La troisième, « le monde parle », réduit le langage à une de ses directions, cette fois-ci, l’état de monde, ou le monde intentionné, visé, à travers le langage.

Bien, au nom de son principe, Foucault refuse les trois. Quelle est la formule qui correspondra à la dimension du langage indépendamment de ses directions, c’est-à-dire le rassemblement du langage ou le « il y a » du langage ? Encore une fois, ça ne peut être que « on parle ». A condition de comprendre que, dans le « on parle », qui est le non commencement du langage, il faut dire que tous les sujets, quels qu’ils soient, tous les je possibles et imaginables, viendront prendre place. Tous les signifiants viendront faire leur chaîne. Tout ce qu’il y a à dire sur le monde viendra se loger. Mais le « il y a » du langage ne sera défini par aucune de ces directions, il sera défini par la propre dimension du « on parle », du murmure anonyme, c’est-à-dire : de l’énoncé.

Je résume les deux points. Vous me direz : on piétine, on ne va pas vite... Tant mieux, on ne va pas vite, parce que, maintenant, éclate la question, et on ne peut plus reculer et on a les moyens de répondre. On ne peut plus reculer et on a les moyens de répondre ! A savoir, première règle : avec des mots, des phrases, des propositions, vous constituez un corpus, relatif à votre problème. Deuxième règle : vous dégagez un « il y a » du langage, un rassemblement du langage, un être-langage. Troisième point : vous n’avez plus qu’à prendre la main et recueillir les énoncés. L’action de l’être-langage sur le corpus va vous délivrer les énoncés.

Vous me direz : vite dit, vite dit ! En effet. D’où notre problème, ce sera : qu’est-ce qu’un énoncé ? Une fois dit que, maintenant, nous pouvons estimer - et ça aura été la séance d’aujourd’hui - avoir les moyens de répondre à la question. La dernière fois nous n’avions pas les moyens de répondre à la question, maintenant nous avons acquis les moyens. Je peux juste dire, pour nous tenter que... comprenez, tout se passe comme si, pour découvrir les énoncés, il fallait, non pas s’en tenir aux mots, aux phrases et aux propositions, il fallait les « fendre ». Il faut ouvrir les mots, fendre les phrases, fendre les propositions pour dégager les énoncés. Exactement comme on fend une coquille.

Alors, nous en sommes là, mais, tout d’un coup je me dis, ah ! Il est temps de..., pendant que je vous tiens, là ça va être très facile, donc, ça va être très très facile, ce qu’il nous reste à faire. Vous pouvez encore, vous tenez bien le coup ? Et bien, je souhaiterais que vous me disiez non, mais j’osais pas. Je me dis, tout d’un coup, mais je n’ai pas cessé depuis le début de dire, vous savez l’énoncé, l’énonçable, ce n’est que la moitié du savoir chez Foucault. il y a l’autre moitié : il y a « voir ». Et puis je sens bien que, parmi vous, il y en a déjà qui ne sont pas d’accord, et ça m’afflige. Alors je me dis : profitons-en, car, si savoir est fait de deux moitiés, ce qu’on vient de dire pour les énoncés, ça doit aussi avoir son équivalent chez Foucault pour les visibilités. Parce que, si ça n’avait pas son équivalent, je ne pourrais plus dire : vous savez, Foucault, il attache autant d’importance à voir qu’à énoncer. Et, si ça a son équivalent, et si on peut montrer que ça a son équivalent, à ce moment-là, je triomphe en cachette. Car, si ça a son équivalent, c’est que savoir c’est pas simplement énoncer et que c’est vraiment la combinaison de l’énonçable et du visible. D’où - faisons une petite parenthèse - est-ce que Foucault peut nous raconter une histoire analogue et aussi belle à propos du visible ? Pourquoi pas ? Qu’est-ce que ça donnerait cette histoire ? Ça donnerait l’histoire que voici.

Première proposition : vous savez, les visibilités ne sont jamais cachées. Toute époque voit ce qu’elle peut voir, toute époque fait voir tout ce qu’elle peut faire voir. Seulement, faites attention, n’étant jamais cachées, les visibilités ne sont pourtant jamais immédiatement données. Jusque-là ça va, hein ? C’est même comme un décalque.

Deuxième proposition : si vous en restez aux choses ou même aux qualités, ou même aux états de chose, vous n’atteindrez jamais aux visibilités. Vous n’atteindrez jamais aux visibilités d’une époque. Pas plus que les énoncés ne se réduisent à des mots, à des phrases et à des propositions, les visibilités ne se réduisent à des choses ou objets, à des états de chose ou à des qualités sensibles.

Troisième proposition : il faut que vous dégagiez un corpus physique des visibilités, c’est-à-dire il faut que vous fendiez les choses et les objets pour en dégager les visibilités. Vous formerez votre corpus de visibilités, à quelles conditions ?

Quatrième proposition : Il faut bien qu’il y ait un « il y a », de même qu’il y a un « il y a » du langage irréductible à toutes les directions linguistiques, il faut qu’il y ait un « il y a » irréductible à toutes les directions sensibles, c’est-à-dire phénoménologiques.

Qu’est-ce que ce « il y a » tout simple ? C’est le « il y a » sur lequel Goethe est mort. Le « il y a la lumière ». Il y a la lumière et chaque époque a un être-lumière, un mode d’être de la lumière et la lumière se rassemble sur chaque époque, d’après un certain mode. Ce qui définira les visibilités d’une époque, c’est le « il y a la lumière », ou l’être-lumière qui varie d’une formation à l’autre. Et pourquoi Foucault éprouve-t-il, d’un bout à l’autre de son œuvre le besoin de décrire des tableaux ? Qu’est-ce que c’est qu’un tableau pour lui ? C’est un régime de lumière, avant d’être un ensemble de lignes et de couleurs. Qu’est-ce que qui définit un tableau ? C’est un rassemblement de la lumière. Qu’est-ce que qui distingue avant tout - je ne dis pas seulement, exclusivement, mais qu’est-ce que qui distingue avant tout - Velasquez et Manet ? Le régime de la lumière qu’il y a dans le tableau de Vélasquez , Les Ménines, et le régime de la lumière qu’il y a dans le tableau de Manet, Le bar des Folies Bergères. Il y aurait un être-lumière tout comme il y a un être-langage et ces deux êtres sont hétérogènes. Si bien que, sous l’être-langage agissant sur un corpus, sur un corpus linguistique, vous dégagez les énoncés et les visibilités, vous allez les dégager lorsque l’être-lumière rencontre un corpus visible, par exemple : un tableau qui forme un corpus ou un élément d’un corpus. Et qu’est-ce que ce sera la visibilité ?

Là il faut retomber sur nos pieds : elle ne doit être ni une chose, ni une qualité, ni un état de chose, ni un objet... Est-ce un hasard si le style de Foucault... je ne peux pas dire que ce soit un problème dans Foucault, ça va tellement de soi pour lui, c’est sa manière de le vivre, donc il n’a pas tellement besoin d’en parler, il fait mieux qu’en parler : ça anime tout son style. Tout son style, c’est quoi ? Il n’y a qu’une chose qui intéresse Foucault dans l’ordre du visible : les facettes, les miroitements, les scintillements, les reflets, les éclats. Voilà. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas les choses. En d’autres termes, les visibilités, ce sont les scintillements, les miroitements, les éclats et non pas les reflets et non pas les choses sur lesquelles les reflets se forment. En d’autres termes, il me semble, Foucault, à cet égard est très goethéen, au sens de la théorie des couleurs, lorsque Goethe traite des effets de lumière. Et les visibilités, ce sont les effets de lumière, tout comme les énoncés sont les effets du « il y a langage ». Et est-ce que Foucault le dira explicitement ? Oui, dans un texte très important que nous aurons à voir de près, dans le livre intitulé Raymond Roussel, Foucault nous dit : il y a deux lumières - c’est juste ce qu’il me faut - il y a deux lumières : une lumière première, il emploie le mot « lumière première », qu’est-ce que vous voulez dire, la lumière première c’est le « il y a lumière », le « il y a de la lumière », la manière dont la lumière se rassemble, ça c’est la lumière première. Et, sous l’action de cette lumière première, il n’y a plus de choses, mais les choses se mettent à valoir pour leurs scintillements, leurs miroitements, leurs reflets. Et il félicite Raymond Roussel d’avoir construit toute son œuvre entre la lumière première et les miroitements ou scintillements.

Donc je peux dire, évidemment, voir est le second pôle du savoir, car voir raconte, à sa manière - irréductible à celle de l’énoncé - raconte à sa manière une histoire analogue. De même qu’il faut fendre les mots et les phrases pour dégager les énoncés, il faut fendre les choses et les qualités pour dégager les visibilités. Et, de même que l’on dégagera les énoncés, lorsque l’on arrivera au point de rencontre, à la jonction, à l’interférence d’un corpus et d’un rassemblement du langage, de même on découvrira les éclats, les scintillements, les miroitements, quand on arrivera à l’interaction d’un corpus physique et d’un rassemblement de la lumière. Alors les choses s’évanouiront pour laisser place aux éclats et miroitements, exactement comme les mots, les phrases s’évanouissaient pour laisser place aux énoncés. Et la gloire de Raymond Roussel, selon Foucault, c’est d’avoir fait des œuvres de deux sortes, une première partie de son œuvre - exemple textes du type du texte intitulé La vue où il s’agit de fendre les choses pour faire surgir les scintillements - et, autre type de textes, Impressions d’Afrique, où il s’agit de fendre les mots et les phrases pour faire surgir les énoncés. Et ainsi Raymond Roussel, en poésie, a parcouru les deux pôles du savoir et a constitué la poésie comme savoir.

N’empêche que, maintenant, nous nous trouvons devant le troisième point. Tout ceci étant dit, nous avons les moyens de dégager les énoncés, très bien, tout comme nous avons les moyens, peut-être, de dégager les visibilités. Et bien : qu’est-ce que c’est qu’un énoncé ? Il faut que, dans notre réponse, nous rendions compte de sa différence avec les mots, les phrases et les propositions.

Nous en sommes là. Si on en arrive là, si on en arrive à ça et bien on aura fini avec « qu’est ce que savoir ? ». On en aura assez vite fini avec « qu’est que savoir ? ». Bon, est-ce qu’il y a des questions ? Est-ce qu’il y a des trucs, quoi ? Je voudrais que vous pensiez à tout ça, hein, d’ici la prochaine fois, je ne sais pas moi. Pas de truc ?

Intervention : (inaudible)

G.D. : Ça on verra, ça engage tout notre avenir. Pour le moment, il faudra d’abord que l’on assoie très fermement la différence de nature entre les deux, c’est-à-dire pourquoi il n’y a pas de forme commune. Ça on n’en est pas encore là. Il faudra bien qu’il y ait quelque chose qui les mette en rapport, vous avez raison. Et bien, si vous n’avez rien à me dire... ouais ?

Intervention : (inaudible)

G.D. :Je ne comprends pas. Redis, redis... On est tous fatigués hein ? Tu me dis : pourquoi je ne parle pas des langues, hein ?

Intervention : (inaudible) cette matière apparaît dans le monde comme les planètes (inaudible)

G.D. : Mais je crois comprendre... oui ?

Intervention : Pour la linguistique je ne comprends pas parce qu’il n’y a pas de linguistique avant ses manifestations historiques, il n’y a pas une langue qui soit une matière métaphysique...

G.D. :Mais pour Foucault non plus pour la lumière : il n’y a pas de lumière qui ne soit relative à une formation historique.

Intervention : Mais c’est encore physique quand même ?

G.D. : Non ! Non, non ! Pas pour Foucault. Pas plus que pour Goethe. Ça, si tu me dis « mais la lumière c’est une réalité physique », tu pourrais dire aussi bien « c’est une chose » ou « c’est un état de chose » etc. Foucault ne traite pas de la lumière en physicien, ça ! Ça, alors tu me diras « mais il n’a pas le droit ! »... je ne sais pas, à ce moment-là je te supplie : lis, Goethe. Il ne parle pas de la lumière en physicien. Goethe s’explique beaucoup là-dessus, il parle de la lumière et il nous dit : Newton a parlé de la lumière en physicien, moi, j’apporte sur la lumière un autre langage. Qu’est-ce que cet autre langage ? Remarque euh... Goethe emploiera le mot de « phénoménologie ». Il fait une phénoménologie de la lumière. En tout cas la lumière est, absolument pour Foucault, est absolument historique, puisque l’être physique de la lumière définissable par Newton ou définissable par Aristote fait lui-même partie d’un savoir qui est un savoir parfaitement historique. Et si tu dis : « mais même avant qu’il y ait des hommes, il y avait la lumière », et ben oui, mais il y avait des strates, il y avait des stratifications, il y avait une archéologie, il n’y avait pas d’hommes, mais c’était toujours relatif à une formation historique. Ouais, en tout cas, il ne prétend pas nous faire une physique de la lumière. Oui ?

Intervention : inaudible

G.D. :Non, puisque il a toujours dit, et là il faut le croire (coupure)… pour rigoler. Il a dit : ce titre, il dit, je cite exactement, il a dit, il a écrit : ce titre doit s’entendre ironiquement. Il ajoute : il est évident que Les mots ne désignent pas des mots et les choses ne désignent pas des choses. On ne peut pas dire mieux : les énoncés sont autre chose que des mots et les visibilités sont autre chose que des choses. Mais alors pourquoi a-t-il appelé ça Les mots et les choses ? Je crois qu’il avait une raison, puisque ce serait, à la lettre, il faut comprendre le titre « du côté des mots et du côté des choses ». Du côté des mots il y a les énoncés qui ne se réduisent pas aux mots et, du côté des choses, il y a les visibilités qui ne se réduisent pas aux choses.